Le bien-être au travail en 10 questions : le bien-être au travail, paradoxe, leurre ou nouveau contrat social pour une performance durable ?
Dans le premier article j’explorais les origines et les définitions du bien-être. Si le bien-être est lié à nos conditions de travail, à la qualité de notre environnement social et de nos relations, c’est aussi un état psychique, un niveau de conscience, voire une philosophie. Dans le billet suivant je posais la question du réel intérêt pour une entreprise de promouvoir le bien-être, qui plus est dans des contextes socio-économiques parfois défavorables. Beaucoup d’entreprises font le pari aujourd’hui que le bien-être est devenu un levier incontournable de performance « durable »…, pour l’actionnaire et on l’espère aussi pour la planète ! Je remercie France 2 pour son « Envoyé Spécial [1]» et ses nombreux témoignages très éclairants sur les « entreprises libérées », le jour où je publiais ce second billet sur les réseaux sociaux. La révolution du bien-être au travail est en route, même si elle ne va pas assez vite pour tous !
« Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse » ?
Si ces deux thèmes de campagne de l’humanisme contemporain au travail visent à remettre l’homme au centre, les chemins sont assez différents et peut-être plus ou moins faciles à arpenter …
En France, au delà des obligations légales de prévention des RPS, de nombreuses entreprises lancent des actions orientées soit vers la « qualité de vie », soit vers le « bien-être » au travail ( « well being at work » pour les grands groupes). Est-ce la même chose, avec un habillage marketing différent ? La Qualité de Vie au Travail dépend-t-elle des mêmes facteurs ? Comment se positionnent les entreprises étrangères ? Est-il possible de mesurer et de suivre les progrès réalisés en matière de qualité de vie, comme de bien-être au travail ?
Des différences selon les pays et les cultures
Derrière l’intention humaniste, les idées de « qualité de vie » ou de « bien-être » au travail sont perçues différemment en France, en Europe et dans le monde anglo-saxon. Selon la culture plus ou moins internationale de chaque entreprise, de la petite entreprise locale, au grand groupe mondial, ces notions sont comprises et déclinées très différemment.
Historiquement en France, la qualité de vie au travail est une extension de la notion « de conditions de travail », avec une connotation plutôt « risques professionnels » et prévention.
« Ce n’est que récemment que le terme qualité de vie au travail émerge dans des accords d’entreprises puis dans l’accord national interprofessionnel de juin 2013 »[2] : « Les conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail, leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci déterminent la perception de la qualité de vie au travail qui en résulte ».
La qualité de vie au travail peut aussi être positionnée comme une démarche de prévention positive du stress et des RPS. Pour un de mes clients en France, dont le siège est à l’étranger, il n’est même pas envisageable pour ce patron de site, de parler à sa direction de « prévention des RPS » ou de l’action qu’il mène avec son CHSCT en la matière ! « Je crains de faire peur aux investisseurs me confiera t-il ». En effet, pour être mieux compris du siège en Allemagne et des investisseurs Américains, mieux vaudrait parler d’approches plus positives et managériales, comme la qualité de vie au travail, pouvant impacter plus clairement les résultats.
A la différence de la France, l’approche européenne se centre davantage sur la dimension collective, par le partage des décisions ou la participation qui entraîneront plus de motivation et d’engagement.
Enfin, le monde anglo-saxon inscrit la qualité de vie au travail dans une perspective davantage individuelle associée au bien-être. Elle intègre aussi mais de manière moins forte, les dimensions organisationnelles du poste de travail et de la santé physique au travail (cf. démarche « cool site » ou cool work »). On parlera plus facilement de « well being at work », dans une définition proche de la santé au travail, c.a.d. de conditions permettant un état de « bien être ».
D’une manière générale, j’ai pu moi-même constater dans mes interventions que les approches « well being », véhiculées en France par les entreprises internationales à culture anglo-saxonne se décalent clairement de l’amélioration des conditions de travail, pour se centrer sur l’individu et son bien-être.
Nous rediscuterons dans les autres questions, des leviers utilisés. Ils rejoignent avant tout le développement personnel, avec par exemple la méditation ou la pleine conscience au travail.
Améliorer la qualité de vie au travail nécessite pour l’entreprise un investissement plus conséquent, avec une remise en cause organisationnelle et managériale, plus complexe à mettre en œuvre.
S’il n’existe pas de définition consensuelle de la qualité de vie au travail, ses grands leviers sont bien identifiés. Ils touchent de nombreux domaines, comme : les conditions de travail, le management (plus ou moins responsabilisant…), le sens donné au travail, la communication, la qualité des relations et le climat social, les possibilités de développement professionnel et personnel, différents critères objectifs, comme les indicateurs : démographiques, d’absentéisme, de santé, de sécurité (nombre d’accidents) ou de conditions de travail…
Qualité de vie et bien-être des perceptions ?
Mais, paradoxalement, si les entreprises cherchent des facteurs objectifs de mesure, la qualité de vie au travail, comme le « bien-être » résultent en fait tous deux d’une perception, donc par essence subjective ! Ainsi lira-t-on dans l’Accord National Interprofessionnel lui-même que « la Qualité de Vie peut se concevoir comme un sentiment de bien-être… » [3]. Il s’agit donc pour le « bien-être », comme la « qualité de vie » d’un sentiment, état psychique lié directement à notre équilibre émotionnel et à la gestion de nos frustrations.
A titre d’illustration, dans cette grande entreprise Française que j’accompagne, les grands changements en cours génèrent beaucoup de mal être et d’état d’âmes, souvent bien sombres. Dans cette même entreprise, au même moment, avec des conditions de travail identiques, j’échange avec de nouveaux arrivants : « ils ne se rendent pas compte les anciens, ils se plaignent sans arrêt… « moi je viens d’un petite entreprise qui a fermé, ici c’est un vrai paradis » … Autre exemple, dans cet établissement de soin en crise, le personnel de l’hébergement se plaint des nouveaux horaires. Mais dans mon audit, les avis divergent. Pour Paul, « ce n’est plus comme avant », il termine parfois « après l’heure, c’est inadmissible !». Pour Luc, qui arrive de la restauration privée : « j’ai retrouvé une vie ici… Ce n’est pas grave si je dois terminer parfois plus tard »… « Avant je n’avais plus de vie de famille,… ce n’était pas 18h le départ, mais 23h » … « Ici c’est le bonheur, j’y suis vraiment bien et j’adore en plus les patients, ils sont moins pénibles… que les clients d’un restaurant … ». Nous le savons tous, c’est une banalité parfois oubliée, tout est question dans le fonctionnement de notre cerveau, de cadre de référence, de comparaison avec le passé et aussi avec les autres …
Mais Paul ne souffre-t-il pas vraiment ? La souffrance comme le stress peuvent-ils-être jugés ? Nous savons aussi qu’il n’y pas de « comédie » avec nos frustrations. Elles sont là et parfois apparemment sans « raison » et nous font parfois beaucoup souffrir.
Le bien-être comme le mal-être sont aussi subjectifs. Ce sont des perceptions, et l’entreprise oublie par contre que l’on ne peut donc pas les mesurer uniquement avec des facteurs objectifs. Notre impuissance parfois à développer le bien-être est un peu comme dans cette célèbre allégorie, de l’homme qui cherche ses clés des heures inlassablement sous le lampadaire sans les trouver, car c’est le seul endroit éclairé ! Et si les clés du bien-être et la lumière étaient ailleurs, pour l’entreprise comme pour nous, loin de la pénombre de notre rationalité. Et s’il s’agissait aussi de monter en conscience, dans l’intelligence de nos émotions et de nos frustrations pour retrouver notre bien-être?
Qualité de vie ET bien-être au travail dans une entreprise responsable
Pour conclure cette troisième question, certains estiment que la « mode du bien-être » en entreprise n’est qu’un écran de fumée, pour faire passer des mesures socialement plus difficiles. « Restez zen, ce n’est qu’un nouveau petit plan social ou une cure de lean-manufacturing participatif qui favorisera votre bien-être » (!). On reproche aussi à la « logique bien-être », de ne pas s’attaquer aux questions de fond, comme les conditions de travail ou l’organisation.
Pour dépasser ce débat, je pense que l’un n’empêche pas l’autre. Un travail sur soi, son bien-être, qui permettra de mieux vivre un changement difficile, ne rend ni idiot, ni aveugle. Au contraire, c’est pour moi un facteur de montée en conscience et de qualité relationnelle. Rien n’empêche pour autant de se battre simultanément pour améliorer ses conditions de travail, c’est pour moi l’autre face indissociable du « well being at work ». Ce n’est pas l’un OU l’autre. N’est-ce pas le bien-être ET la qualité de vie au travail, dans une entreprise responsable que nous cherchons tous ?
Mais quels sont donc réellement les facteurs qui produisent notre bien-être ?
Si le bien-être est aussi une « perception », mêlé de sentiments, d’états d’âmes …, est-il possible de le mesurer ? En entreprise, on aime les résultats concrets !
A bientôt pour les prochaines questions ?
[1] Emission du 1er septembre, a voir absolument, encore disponible sur youtube
[2] D’après l’ANACT – Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail.
[3] Art.1 ANI 2013 :: la QVT « peut se concevoir comme un sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement qui englobe l’ambiance, la culture de l’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail effectué ».