Le bien-être au travail en 10 questions
Paradoxe, leurre ou nouveau contrat social ?
Dans les articles précédents (questions 1, 2, 3), je constatais que si le bien-être était lié à nos conditions matérielles, c’était aussi un état psychique, voire une philosophie. Je discutais ensuite de l’intérêt pour une entreprise de le promouvoir, dans des contextes parfois défavorables. Pourtant beaucoup d’organisations font aujourd’hui le pari que la « qualité de vie » et le « bien-être » sont devenus des leviers incontournables de performance « durable »… Mais qualité de vie ou bien-être au travail est-ce la même chose ? Le bien-être apparait davantage centré sur la personne, la capacité à préserver ses équilibres pour se sentir bien au travail … La qualité de vie au travail, elle, implique davantage de facteurs objectifs, comme les conditions de travail. Pour moi, bien-être et qualité de vie au travail ne s’opposent pas. Ils s’appuient tous deux sur la restauration de la confiance et de la responsabilité partagés. C’est ce que certains appellent les « entreprises libérées ».
Pour faire progresser le bien-être au travail, il est indispensable de pouvoir évaluer la situation de départ et, par la suite, de mesurer les progrès.
Le directeur d’un site de production me disait la semaine dernière : « tout ce qui compte pour moi c’est l’impact sur mon RBE[1] » ! Certes, mais il est aussi important de savoir sur quel levier agir et évaluer son «well being ROI », si nous voulons parler résultats financiers !
La qualité de vie au travail est basée sur des facteurs surtout objectifs. Il en existe de nombreux liés, à l’absentéisme, au turn-over, à la démographie, au développement professionnel (accès à la formation, promotion…), à la santé (maladies professionnelles, inaptitudes…), à la sécurité, ou encore, aux conditions de travail (pénibilité, autonomie, horaires…). La difficulté dans ce travail d’évaluation, c’est que la qualité de vie et, davantage encore le bien-être, dépendent aussi de nos perceptions. Celles-ci sont liées à la qualité nos équilibres psychologiques. Or, l’entreprise sait peu les évaluer. Rares sont les ingénieurs, les gestionnaires RH, encore moins financiers, qui savent mesurer le facteur humain et encore moins l’émotionnel. Ils sont pourtant au centre de la dialectique bien-être/ mal –être au travail.
Dans une situation de mal –être, voire de crise, la seule réponse donnée par l’entreprise que j’observe régulièrement, c’est soit le déni, l’évitement, le « on attend que ça passe », soit, encore le déplacement du problème : on mute ou on organise au mieux la mobilité des salariés concernés. Le responsable prévention et sécurité d’un grand laboratoire pharmaceutique me disait récemment : « que faire avec des RH qui n’ont appris qu’à raisonner compétences. Ils n’ont pour la plupart jamais appris la psychologie. Ils savent gérer des ressources »… Mais ne valons-nous pas mieux que des « ressources » ?! Et oui, si beaucoup d’entreprises ont perdu leur âme, nous en avons tous une, avec ses valeurs et ses émotions. Notre santé psychologique en dépend.
Pour passer à l’action et favoriser le développement du bien-être au travail, il faut pouvoir en diagnostiquer les facteurs, non seulement matériels –comme un changement trop rapide ou une surcharge de travail – mais bien aussi « psychologiques », comme la montée de la peur, avant un changement important, ou des valeurs contrariées. Pour développer le bien-être, il faudra de la même manière connaitre précisément les leviers à actionner.
Après de très nombreuses investigations et plus de 25 ans d’expérience sur le terrain, je suis persuadé que le bien-être, comme sa dégradation dans les risques psychosociaux, est essentiellement lié à la gestion de nos besoins psychiques et de leur frustration. C’est l’objet de ma dernière publication.
J’ai défini pour les évaluer, une échelle à dix niveaux. Elle est basée sur les 7 besoins les plus présents au travail et en management. Nous l’utilisons dans tous nos diagnostics.
- le « sens », qui alimente notre identité professionnelle. C’est de sa satisfaction dont dépendra en grande partie l’engagement dans l’entreprise et ses projets
- la « reconnaissance », quelle soit ou non matérielle, salariale, managériale, relationnelle ou liée à l’estime de soi
- le « cadre » donné par la mission, les objectifs ou les règles du jeu, voire une déontologie
- le « partage » des joies, succès, réussite professionnelle et leur reconnaissance collective
- le soutien et le « réconfort », notamment en situation de transition, de deuil ou de changement
- l’équité, le sentiment de « justice », et, en cas de dommage, le besoin de réparation, pour la défense de nos territoires et de notre identité professionnels
- la « sécurité » dont nous avons besoin pour faire face à nos multiples peurs et inquiétudes au travail
Pour chaque critère, les niveaux supérieurs tendent vers le bien-être, alors que les échelons du bas reflètent notre frustration et la souffrance au travail qui l’accompagne.
Par exemple : comment vous sentez-vous quand vous vous retrouvez pleinement dans la vision de votre entreprise, est-ce que vous vous sentez en cohérence avec ses valeurs … ? En pleine énergie et engagé à fond ?! A l’inverse, que se passe t-il quand vous ne vous y reconnaissez plus du tout ? N’est-ce pas un cas fréquent de départ, de divorce ou, s’il est impossible de partir, l’arrivée du mal être au travail … ?
En guise de conclusion à cette quatrième question, il est impossible de mesurer le bien-être sur la base de facteurs uniquement objectifs, car par essence, c’est bien de l’être au travail dont il s’agit.
Si nous sommes tous convaincus que le bien-être au travail est un facteur majeur de performance, alors il est grand temps d’explorer d’autres clés et d’autres indicateurs de la santé psychologique de l’homme au travail.
Ces 7 besoins sont pour moi les rubriques clés du nouveau « compte de résultat » du bien être et de la qualité de vie au travail !
Ce sont ces 7 critères que nous utilisons pour évaluer le bien-être personnel dans les organisations.