Q. 8/10 – Le bien-être, quels leviers d’actions ?
Que peuvent faire concrètement, les personnes, les managers et l’entreprise, chacun à son niveau, pour favoriser l’intelligence émotionnelle et le bien-être au travail ?
Dans les articles précédents (Q. 1 à 8), je constatais que si le bien-être était lié à nos conditions matérielles, c’était aussi un état psychique, voire une philosophie. Je discutais de l’intérêt pour une entreprise de le promouvoir, dans des contextes parfois défavorables. Beaucoup d’organisations font le pari que la « qualité de vie » et le « bien-être » deviennent des leviers incontournables de performance « durable »… Mais « qualité de vie » ou « bien-être au travail » est-ce la même chose ? Le « bien-être » apparait avant tout centré sur la personne … La « qualité de vie au travail », elle, implique davantage de facteurs exogènes, comme les conditions de travail. Pour moi, bien-être et qualité de vie au travail ne s’opposent pas. Ils s’appuient tous deux sur la restauration de la confiance et de la responsabilité partagés dans une entreprise « libérée ».Mais pour faire progresser le bien-être au travail, il est indispensable de pouvoir mesurer ses progrès. Les 7 besoins psychologiques sont pour moi les rubriques clés du nouveau « compte de résultat » du bien être au travail ! Le bien-être relationnel est lié à d’autres critères, comme la confiance en l’autre, l’empathie et les valeurs partagées. Et le bien-être en équipe ? Au-delà de la cohésion, le bien-être en équipe dépend de la conjonction de 3 facteurs : le niveau d’appartenance, la solidarité et la coopération, enfin, l’énergie qu’elle va générer comme lieu ressource, favorisant ainsi l’intelligence et l’efficacité collective. Enfin, le bien-être « au travail » nécessitera dans l’action, un pouvoir « bien-faire », pour être ainsi « fier » de son travail.
Quelque soit l’environnement de travail, nous savons que le bien-être demeure une perception, négative ou positive, différente selon les individus. Dans notre vie privée comme au travail, notre bien-être dépend en fait pour beaucoup de notre intelligence émotionnelle. Nous pourrons apprendre grâce à elle à nourrir volontairement nos besoins psychiques, à compenser les frustrations liées à des facteurs exogènes, y compris très toxiques ou agressifs. Les témoignages de survie en camp de concentration dont les plus célèbres du psychologue Victor Frankel[1] ou de la pianiste Alice Sommer Herz[2] sont là pour nous le démontrer.
L’intelligence émotionnelle nous permettra de limiter les impacts négatifs de nos frustrations, à l’origine si elles se prolongent, du stress et de bien d’autres petits et grands mal-être au travail. Ce travail sur soi ne doit cependant nullement nous affranchir d’un travail sur les facteurs de risque exogènes, liés au management et à l’organisation.
Les leviers pour développer le bien-être au travail se situent donc à trois niveaux complémentaires indissociables :
- de l’action personnelle que peut mener tout individu
- du manager, dans sa sphère d’influence, indépendamment du système managérial
- de l’organisation, avec sa politique et ses modes d’organisation, déclinés dans le système de management.
Nous nous intéresserons, pour cette question 8, aux leviers dont chacun peut disposer à titre personnel. Les deux leviers seront discutés dans questions suivantes.
Renforcer sa capacité à développer son bien-être pourrait faire l’objet d’un livre entier. Cela nous renvoie au long chemin du développement personnel, dont les finalités sont l’épanouissement, la réalisation de soi, voire le bonheur !
En synthèse quelques principes simples pour cheminer avec le bien-être
1) Prendre soin de soi
« Take care » m’a dit en quittant la maison un ami américain. Derrière cette expression, nous retrouvons un des fondements essentiels du bien-être : « prendre soin de soi ». Comment par l’écoute de soi répondons-nous aux « messages de l’intérieur », psychiques ou corporels, pour nous protéger des dangers de l’existence et préserver nos équilibres ?
2) Développer son intelligence émotionnelle
« Comment je me sens ? » La plus ou moins grande richesse de nos perceptions traduira notre niveau d’intelligence émotionnelle. De nombreux spécialistes ont montré que cette intelligence commençait par le développement de nos capacités de perception de nos émotions.
La première étape du mieux-être est donc d’apprendre à différencier nos ressentis, à mieux écouter les besoins qui y sont associés et de nous mettre en marche pour y répondre. Par exemple, nous pouvons avoir plus ou moins conscience dans un changement, des peurs qui inhibent nos initiatives ou génèrent chez nous de l’anxiété. « Prendre soin de soi », dans ce cas serait mettre tout en œuvre pour les écouter et nous sécuriser, sans inhiber l’action. C’est une des principes de base des techniques de survie dans les sports à risque, comme la haute montagne que j’ai beaucoup pratiqué.
Vous pourrez trouver dans « manager avec l’intelligence émotionnelle »[3], toute une série de conseils pratiques pour développer notre intelligence émotionnelle et ses équilibres : comment prendre conscience de ses freins émotionnels éducatifs et culturels ? Comprendre les mécanismes émotionnels pour les maîtriser ; Pratiquer au quotidien la régulation des émotions ; Mieux gérer ses trop pleins d’émotions ; Faciliter ses équilibres émotionnels…
3) Gérer ses équilibres psycho-corporels
Les émotions s’accompagnent de puissants mécanismes psycho-corporels influençant notre mode de respiration et notre rythme cardiaque. Nos automatismes cérébraux analysent sans cesse les informations stockées dans notre mémoire, pour choisir, évaluer et agir. Associées à notre système de croyance, ils nous permettront de décider et de nous projeter dans l’avenir. Nos déséquilibres émotionnels et nos frustrations produisent des ressentis et des pensées négatifs.
La plupart des techniques de gestion du stress utilisent la respiration pour reprendre la gouvernance de ces automatismes. Les plus pratiquées aujourd’hui en entreprise sont la « pleine conscience », la « sophrologie » ou certaines formes de « yoga ». Il y en a bien d’autres, plus ou moins occidentalisés, car, pour la plupart, ces techniques proviennent de très anciennes pratiques orientales.
4) Éviter et se protéger
Pour favoriser son bien-être, chacun doit apprendre à se protéger des environnements et des personnes génératrices de mal-être. Si un collègue ou un manager, volontairement ou non (si lui-même est en souffrance), nous renvoie trop de signes ou d’émotions négatifs, nous allons, plus ou moins consciemment les ressentir et nous laisser gagner par le mal-être. C’est un phénomène de contagion bien connu, autant redouté dans certains sports collectifs qu’au travail. Au delà, une personne pourra générer volontairement des signes de reconnaissance négatifs pouvant altérer violemment l’estime de soi. C’est le cas des « pervers-narcissiques ». Là encore, notre intelligence émotionnelle pourra nous aider à détecter ces situations, pour nous en éloigner ou repousser « l’agresseur ».
5) Voir les choses positivement
« Enjoy », dit souvent Will en guise du traditionnel « bon courage ». Autre système de croyance très en vogue dans les entreprises, la « psychologie positive », plus naturelle chez les américains qu’en France. Ces théories sont basées sur des principes philosophiques très anciens. Ils nous invitent à voir l’avenir, les autres et le monde plus positivement. Cet état d’esprit cependant ne se décrète pas. Il ne suffit pas non plus de les apprendre pour que ça marche ! Ils sont davantage pour moi le signe d’un « bien-être intérieur » et d’un niveau de conscience plus développé.
La « méthode Coué [4]», basée sur l’intégration d’un système de croyances positives souvent caricaturée (tout va bien – tout va bien !) pourra néanmoins nous aider à renforcer notre bien-être ! De mes années d’études en psychologie, j’ai retenu ainsi deux principes essentiels que j’applique au quotidien : le premier est de toujours chercher à comprendre le fonctionnement ou la personnalité d’autrui, plus que de le juger. Le second, c’est de toujours trouver un point d’intérêt chez l’autre et un plaisir dans les situations diverses que je vis, quelles qu’elles soient. Quand j’assiste, par exemple, à une conférence avec des collègues, je suis toujours surpris de la diversité des états d’âme, à la sortie de la salle. J’ai appris à toujours trouver un intérêt qui viendra nourrir ma curiosité et me satisfaire. Je ressors donc la plupart du temps content, rarement frustré, même si l’orateur se situe en dehors de mon cadre de référence, voire de mes croyances. Nous pouvons tous tirer parti de ce type d’attitude.
Poursuivre son chemin avec les vertus de sagesse
Quelques soient leurs origines, la plupart des courants spirituels véhiculent des principes de sagesse porteurs d’un certain bien-être. Ils sont souvent repris par les diverses doctrines des écoles de psychologie. Nous retrouvons aussi beaucoup de ces principes en entreprise, véhiculés par les coachs et autres « gourous » laïques du bien-être, dont je fais parti !
La bonne nouvelle, c’est que les neurosciences arrivant maintenant à objectiver de nombreux phénomènes psychiques jusqu’alors taxés d’ésotériques[5], de plus en plus scientifiques s’ouvrent à une certaine spiritualité laïque. Avec la bénédiction de « la science », cette avancée lui donne son droit d’entrée en entreprise.
Et quels meilleurs remèdes que la spiritualité contre le stress et pour accéder au bien-être qu’un peu de spiritualité ? Sur la route d’une formation à la prévention des RPS, j’ai eu un soir une discussion surprenante avec un chauffeur de taxi. Je l’ai partagée sur mon blog dans mon livre (« rencontre avec Dieu dans un Taxi »[6]). C’est une belle leçon d’humilité et de sagesse populaire.
Mais « peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » ! Quelque soit son origine culturelle, du christianisme, à l’islam en passant par le bouddhisme, voire, le chamanisme…, la spiritualité nous invite à nous nourrir des mêmes vertus, du don de soi, de notre reconnaissance ou de cadeaux plus matériels. La gratitude fait partie aussi des clés de sagesse pouvant favoriser notre bien-être personnel et également au travail.
Enfin, les traditions spirituelles, comme aussi le taôisme dont s’inspire la psychologie chinoise traditionnelle, nous invitent à la compassion. Elles nous rappellent que l’entrée dans les « vertus de sagesse » commence nécessairement par l’écoute de sa propre souffrance, autrement dit, par « l’auto compassion »… Le bonheur ne dépend-il pas de notre capacité à nous construire dans la conscience et le dépassement de nos propres souffrances ?
Un manager me demanda un jour en stage de leadership, si la compassion était un sentiment compatible avec la vie en entreprise et ses obligations de résultats et d’excellence…
La compassion est-elle une faiblesse ou une nouvelle compétence en management … ?
Nous en discuterons la prochaine fois si vous le souhaitez et des autres nombreux leviers dont dispose cette fois le manager de bien-être et l’entreprise, au service de l’efficacité collective, dans le plaisir partagé !
[1] Le médecin Victor Frankel produira plusieurs ouvrages issus de son expérience de survie dans les camps de concentration. Ses travaux déboucheront sur une nouvelle école de psychologie, toujours très active dans le monde, orientée sur le sens et son rôle fondamental dans la dynamique humaine. Pour Victor Frankel, si nous pouvons vivre sans nourriture ou sans sexe, nous ne pouvons pas vivre sans « sens ». Le sens permet de résister aux frustrations des besoins vitaux.
[2] Alice Sommer Herz, nous donne un des plus grandes leçons de psychologie positive. C’est son attitude toujours positive et reconnaissante y compris envers ses bourreaux qui la nourrira, lui permettra non seulement de survivre en camp de concentration, mais de s’épanouir là où la plupart dépériront : « je regarde toujours du côté du bien », « je n’ai jamais haï personne », ni même mes bourreaux, y compris dans les situations de souffrance et les frustrations les plus intenses.Cf. « Conversation avec une survivante de l’holocauste » et « Le monde d’Alice, 108 ans de sagesse », Michel Lafond, 2012.
[3] InterEditions 2016 – Chap. 2 P. 416 Développer son émotionnel.
[4] Tire son nom des travaux du psychologue et pharmacien français Émile Coué de la Châtaigneraie (1857 – 1926). Cette méthode est une forme d’autosuggestion censée entraîner l’adhésion du sujet aux idées positives qu’il s’impose et ainsi un mieux-être psychologique ou physique. Elle se veut autant préventive que curative.
[5] des effets de la méditation, à certains comportements « vertueux » sur le fonctionnement du cerveau, en passant par le rôle énergique des chakras, ou la visualisation de l’aura d’un saint, appelé aussi corps éthérique.
[6] Voir sur mon blog : http://ecologie-manageriale.fr/stress-et-spiritualite/