Article rédigé par Pierre-Marie Burgat, paru le 2 février 2009 sur le site d’information en ligne des dirigeants d’entreprise : GPO.fr
Quand on entend parler de « management durable », il est souvent question de management des ressources de la planète. Pour moi, le management durable concerne aussi – voire en premier lieu – le management des personnes et des équipes, des compétences ou des ressources humaines.
Mais qu’est-ce que serait un « management durable » des personnes et des équipes, en cohérence avec l’idée de « développement durable » et en réponse aux enjeux et besoins émergents du XXIème siècle… ?
Toutes les entreprises sont aujourd’hui de près ou de loin touchées par le phénomène du « Développement Durable », ne serait ce que par l’évolution des besoins des consommateurs. Mais avant de concerner l’entreprise, le Développement Durable représente pour nous une problématique sociétale, voir de civilisation. Le Développement Durable correspond à un nouveau modèle de vie citoyen. Il va sans doute progressivement remplacer au cours du XXIème siècle celui de la « société de consommation », ce dernier n’étant pas viable à terme pour notre planète.
Que signifie au plan économique l’idée d’un management durable ?
Au plan économique, la dernière crise nous montre à l’évidence à quel point le capitalisme libéral est un système particulièrement inadapté au monde et aspirations d’aujourd’hui.
Au niveau macroéconomique et planétaire, l’idée de management durable renvoie inévitablement à la mise en place dans le siècle à venir d’un nouveau système de régulation mondial et à un meilleur partage des richesses. Mais quand nous avons dit cela, la route reste longue … Nous assistons par ailleurs, à la lente émergence d’une nouvelle « gouvernance écologique planétaire », dont les instances naissantes ont du mal encore à faire loi. C’est néanmoins une orientation claire pour le XXIème siècle.
Qu’en est-il au niveau des entreprises ?
Au plan microéconomique, les entreprises surfent au mieux sur ces nouveaux besoins et une mode porteurs de nouveaux marchés. L’économique, bien évidemment, contrarie la « vocation éthique » du développement durable. Cette aspiration apparaît souvent détournée par les entreprises, le marketing suppléant le plus souvent à de réelles mesures trop contraignantes.
Comment concilier une évolution quasi culturelle avec l’économique ?
Nous oublions souvent en effet qu’une entreprise repose certes sur une stratégie, une organisation délivrant des services ou des produits, mais avant tout sur une communauté humaine et une culture… La vague verte du développement durable impacte ces deux niveaux : le culturel (la vocation, les valeurs, le management…) et l’opérationnel, ce qu’en fait concrètement l’entreprise dans son organisation et ses produits ou services. Mais ce sont les évolutions culturelles souvent négligées qui apparaissent comme primordiales à prendre en compte. C’est surtout la bonne cohérence entre la nouvelle culture « développement durable » et l’action, c.a.d, ce qu’en fait concrètement l’entreprise[1] qui est le plus important.
Peut-on par exemple à la fois prôner dans sa stratégie et son marketing un « développement durable », sans faire évoluer la culture et notamment le management ? Et qu’est-ce que serait un « management durable » des personnes et des équipes ?
Partant du principe que la culture d’entreprise et son alignement à l’action sont des leviers puissants de performance, deux types de questions peuvent se poser aux organisations en terme de management des personnes et des équipes :
- quelle nouvelle « gouvernance » de l’entreprise, quel « management » mettre en place pour répondre à cette évolution culturelle, à ces nouvelles valeurs citoyennes de développement durable ?
- quelle nouvelle gestion des ressources humaines peut s’inscrire dans cette nouvelle vocation ?
D’autres facteurs viennent dans la « veille Europe » percuter cette problématique et nourrir ce besoin d’un « management durable » :
- les évolutions démographiques et le vieillissement de la population (manque de ressources prévisible dans certains secteurs et difficultés à recruter, management des seniors …)
- les besoins forts des salariés, de sens et d’une nouvelle relation au travail et à l’entreprise (les cadres « jetables » se désengagent or l’entreprise a besoin d’eux …)…
Comment les acteurs majeurs du monde de l’entreprise – directions, responsables ressources humaines, managers, consultants, coachs …- peuvent aider les organisations à concrétiser cette utopie du management durable ?
Aujourd’hui la préoccupation du management durable apparaît très présente dans les entreprises, mais seulement quelques unes d’entre elles ont entamé une réflexion structurée, qui, en outre, se traduit encore peu dans les faits. Nous voyons réapparaître des recettes managériales connues, mais aucune véritable politique RH de « management durable » n’a encore véritablement émergé, au sens où nous l’entendons.
Qu’en est-il en fait ? Qu’est-ce qu’est le « management durable » des personnes ?
L’idée de management durable renvoie à une relation « durable » avec l’entreprise et au respect de l’Homme, tout simplement. Elle s’oppose à l’évidence au management de l’homme comme une ressource matérielle « jetable ».
Cela renvoie aussi à une certaine dimension spirituelle des personnes dans l’entreprise. Cela implique une certaine maturité managériale, des « managers porteur de sens », pour que chaque contribution soit transcendée et perçue par chacun comme « une pierre à l’édifice » de l’entreprise, autrement dit, leur permette d’élever leurs propres « cathédrales ». Les personnes cherchent dans cet esprit un nouveau rapport à l’entreprise. Les entreprises cherchent des salariés qui s’engagent …
Un Directeur Général d’une PME travaillant directement pour le développement durable me questionnait sur le manque d’engagement de ses salariés …
Le Directeur du Développement Durable d’un grand groupe industriel ayant eu échos de ce que je mettais en place dans son entreprise en matière de développement du management m’interpellait en me disant que ce que nous faisions dans son entreprise était du management durable… Je ne le savais pas moi- même … !
Que pouvons nous faire concrètement qui puisse peut-être aller vers un management durable ?
Comment trouver ce nouvel engagement, comment mieux respecter les personnes, restaurer un climat de confiance et de coopération, à l’intérieur d’organisations violemment chahutées par les incertitudes économiques et les transformations incessantes ?
Dans une société en pleine mutation, les personnes sont perturbées dans leur identité professionnelle par les trop nombreux changements … Elles ont un besoin fort de sécurité, de reconnaissance, de sens et d’accomplissement personnel….
Le besoin n°1 en France de formations individuelles (DIF, hors plan d’entreprise) était en 2007, le « développement personnel »… C’est, le moins que l’on puisse dire, un signe fort !
Je pense donc qu’il faut aujourd’hui positionner le développement personnel au cœur du développement professionnel et managérial … Dans un monde du travail en pleine mutation, les personnes ont besoin de maintenir si non de retrouver leurs équilibres identitaires professionnel et personnel. Mieux se comprendre, avoir du recul sur ses propres évolutions, mieux gérer son émotionnel, trouver le chemin de sa réalisation personnelle …. C’est peut-être aussi ça le « management durable » … et c’est un facteur clef de performance.
Quelle est votre approche ? Faites vous des formations ?
Nous mettons en place des dispositifs de développement du management basés sur le développement de l’Intelligence de Soi et des autres.
La formation traditionnelle vise à l’acquisition de compétences, de techniques, de contenus pédagogiques ….
Nous proposons de notre coté sous forme de séminaires, d’ateliers et de journées d’échanges, des espaces de développement personnel et professionnel. Ce travail ne peut se faire que dans la durée …
Quel est l’intérêt in fine pour l’entreprise ?
Dans un monde citoyen et « durable », l’entreprise a besoin de personnes équilibrées et épanouies bien dans leur organisation, de personnes motivées, heureuses de vivre au travail et en conséquence performantes ! Nous cherchons trop souvent la performance comme une finalité, alors que ce n’est pour nous que la simple conséquence d’un bon équilibre personnel et professionnel, la conséquence d’un certain bonheur au travail …
Nous avons tous besoin de sens dans notre vie professionnelle. C’est notre premier levier d’engagement et de motivation. Ce développement personnel allié au professionnel permet dans un premier temps de redonner du sens à sa contribution et à la vocation de l’entreprise … Il vise à mieux inscrire sa trajectoire, sa propre identité, ses valeurs dans celle de l’entreprise … C’est une façon de réconcilier la personne et l’entreprise. Après un demi siècle de déchirures, tout le monde en a besoin et en premier lieu l’entreprise elle-même.
Le développement personnel est aussi une source d’énergie, voire de leadership pour ses managers … Nous en avons grandement besoin aujourd’hui pour mener à bien nos projets et conduire les transformations indispensables … Cependant, pour être efficace, ce « management durable » doit être porté en premier lieu par la direction. C’est pourquoi nous travaillons toujours en premier lieu avec les comités de direction.
Comment de son coté, la fonction « ressources humaines » peut-elle intégrer cette logique de management durable ?
Si le management apparaît comme une question avant tout culturelle et comportementale, la fonction ressources humaines est plus intégrée dans l’organisation. Son évolution est certes éthique, mais doit déboucher sur de nouveaux process et pratiques de « management durable des ressources humaines ».
Aujourd’hui, dès la reprise économique et dans les années à venir, les entreprises devront savoir maintenir les ressources humaines dans l’entreprise, manager une forte population de seniors souvent désengagés … Nous voyions déjà apparaître avant la dernière crise des « welcome bonus » pour attirer les jeunes cadres dans certains secteurs … Il faudra aussi se demander comment favoriser l’engagement, comment mieux reconnaître les personnes, à la fois matériellement et surtout, par la qualité du management …
D’une manière plus générale et à plus long terme, l’idée de management durable invite à redynamiser les pratiques de gestion des compétences et de développement professionnel…
Est-ce à dire qu’une entreprise qui fait du management durable ne peut pas licencier, faire un plan social ?
Le modèle de management durable dans l’absolu, pousse à une relation durable, donc à un investissement à plus long terme dans ses salariés.
Cependant, le management durable renvoie plus à une éthique qu’à une durée de collaboration avec une entreprise. Ainsi, ceci ne veut pas dire par exemple que l’entreprise doit viser comme un but de figer son « turn over », ou qu’une personne qui ne respecterait pas son « contrat » avec son manager ne pourrait en aucun cas être remerciée, ou encore qu’une entreprise en difficulté sur son marché, ne pourrait plus faire de plans sociaux …
Une fois encore, la question rejoint celle de l’éthique humaniste portée par l’idée de management durable et mise en œuvre concrètement dans l’entreprise. Par exemple, comment dans un esprit de management durable, je gère en tant que DRH la non performance individuelle ? Comment je manage la décroissance d’une population d’ouvriers ou d’ingénieurs, ou la délocalisation … Est-ce que j’ai su, par exemple, mettre en place un management de l’employabilité qui favorise la reconversion en cas de crise ? Est-ce que mon système de rémunération permet un partage suffisant des fruits du travail, encourage la coopération ?
Par contre, il apparaît évident que le management durable rejette l’idée d’une optimisation sans borne des ressources humaines ou de l’organisation, au détriment des personnes, pour de seules fins de profitabilité.
Souvent les managers ou les DRH ont peu de marge de manoeuvre ? Ne sont-ils pas souvent prisonniers de leur direction, voir des actionnaires ?
Il y a aussi en arrière plan un rapport de force évident … Je pense néanmoins qu’il y a beaucoup plus de dirigeants humanistes, eux-mêmes en quête de sens et prêt à jouer le jeu, que de capitalistes sauvages sans foi ni loi … même si j’en ai rencontré aussi au cours de mes périples en entreprises ! Si l’angélisme n’est pas de mise, il ne faut surtout pas sombrer cependant dans le machiavélisme primaire, c’est aussi une forme de passivité !
Il faut par contre savoir plus simplement aider les dirigeants à trouver la bonne démarche et les leviers de progrès adaptés … C’est notre métier d’accompagnant, de coach de direction, une certaine foi militante, pour un humanisme retrouvé dans l’entreprise et peut être demain, pour un « management durable » …