Article rédigé par Pierre-Marie Burgat, paru dans la revue « Inter-Mines » le 16 avril 2010.
Pour mieux faire face aux nouveaux enjeux…
Dans un monde « global » en pleine mutation, en prise avec des transformations rapides et permanentes …, le manager du XXIème siècle doit savoir plus que jamais donner du sens, accompagner les personnes et les équipes en quête d’un nouvel équilibre…
Mais les managers déstabilisés par ces changements, la complexité, l’incertitude et les pressions permanentes apparaissent souvent eux-mêmes en recherche d’engagement, sinon d’une « autre relation à l’entreprise … »
Un des enjeux de la performance managériale de demain sera donc de donner aux nouveaux managers les moyens de trouver leurs propres équilibres, pour devenir les leaders inspirants dont le monde a besoin.
Dans une période de perte de sens et d’identité, avec les peurs et le stress générés par les ruptures incessantes… mettre le développement personnel au service du développement du management apparait comme un levier fondamental de développement du leadership. Le dépassement de la crise est aussi à ce prix, vers la construction d’une nouvelle performance « durable » et d’un « autre management … »
La conscience de la fragilité de nos ressources promeut ainsi aujourd’hui le développement durable et l’écologie comme principes de régulation planétaire.
Dans un monde laissé aujourd’hui à la seule gouvernance financière, nous oublions souvent que le développement durable, comme l’écologie s’applique en priorité à l’homme.
Dans cet esprit, le « management durable » et « l’écologie managériale » – au-delà de l’effet de mode – constituent une nouvelle réponse adaptée aux enjeux humains et managériaux de l’entreprise de demain.
Mais seul l’engagement de chacun permettra de sortir de la passivité et du système qui nous enferment tous, pour construire ensemble un nouveau management plus écologique et durable.
Vous êtes un spécialiste du développement du management et du leadership, pourquoi estimez-vous que le management doit aujourd’hui évoluer ?
Le management,… c’est bien toujours diriger des personnes et des équipes pour obtenir la performance ? !
Le manager, de tout temps, « le chef » a toujours effectivement à la fois une fonction d’autorité, de conduite des missions … Il répartit le travail et fixe les objectifs ; Il est garant de la performance, sur ce point rien ne change …
Mais le manager doit aussi savoir « entrainer » les hommes, les équipes, répondre aux besoins des personnes, donner du sens, et en cela être le relais des enjeux de son époque…
C’est ce qui fait varier son rôle, son identité, sa posture…et qu’un manager d’aujourd’hui n’a pas le même profil qu’un chef des années 50, et même des années 90-2000 ! Le monde a littéralement basculé en 15 ans dans une autre dimension (1). Les enjeux et les besoins sont différents. Le management aussi doit évoluer …
Ainsi beaucoup d’entreprises font le constat que le management traditionnel de la performance ne fonctionne plus suffisamment aujourd’hui.
Les nouvelles générations de managers sont portées par d’autres valeurs, d’autres sources de motivation donc de performance. Ils cherchent d’autres équilibres, notamment entre vie privée et professionnelle, carrière et accomplissement de soi …
La crise qui peut parfois mettre entre parenthèses ces besoins se révèle pour la plupart des observateurs, comme un accélérateur de ces évolutions (2).
Mais est-il possible dans ce contexte de plus en plus difficile d’imaginer un autre management ?
Certains prônent même un retour en arrière … plus de dirigisme, plus d’autorité … et vous, vous parlez de « management durable », « d’écologie managériale » … de bien-être, vous croyez que c’est vraiment le moment ?
Notre époque se caractérise par l’extrême rapidité des transformations, mais aussi la pression grandissante d’une performance devenue avant tout financière et qui n’a plus suffisamment de sens sur le terrain. Cela produit les conséquences humaines et sociales que nous connaissons tous …
Tous les besoins humains fondamentaux sont mis à mal. Les personnes doivent ainsi gérer beaucoup de frustrations et de carences : de sens et d’identité, de reconnaissance, de sécurité, de partage, de justice …
L’estime de soi et la confiance en soi sont malmenées, alors que vous savez que ce sont les ressorts essentiels de la motivation et de la performance au travail.
Plus le niveau de stress et de pression sont forts, plus nous nous replions sur nous pour gérer notre ressenti de manque et de pénurie … et parfois les conséquences que l’on connait.
Et l’on se demande pourquoi certains craquent et pourquoi nos managers manquent de motivation et d’engagement ….
Il est aujourd’hui nécessaire d’aider les managers à mieux retrouver leurs marques, à comprendre ce qu’ils vivent, à être « mieux dans leurs baskets », à trouver de nouveaux équilibres, à donner du sens à leur mission et à la performance …
Comment peut-on faire ? Voulez vous faire des managers des psychologues … ?
Effectivement nous oublions dans la tourmente, les fondamentaux de la psychologie … Ce n’est pas pour autant une affaire de spécialistes, c’est plus le bon sens qui parle … (ou ne parle plus …). Notre motivation dépend pour beaucoup de la satisfaction de nos besoins.
Un des premiers facteurs de la motivation humaine est ainsi le sens que chacun peut donner à sa contribution …
Le second aussi puissant est le besoin de reconnaissance, moteur n° 1 de l’estime de soi et de la confiance (3)…
Encore une fois, plus mon organisation change vite, plus je perds le sens de mon travail … mon identité, plus je rencontre le risque de perdre la reconnaissance de ma compétence …plus je suis démotivé, frustré … et donc peu à même de donner aux autres ce dont ils ont besoin en la matière ….
N’est ce pas encore plus grave quand ce sont les managers eux mêmes qui sont démunis …
Concrètement, quel management adopter dans ce contexte de changement, de crise, de transformations … ?
Les entreprises qui aujourd’hui estiment que la crise et les enjeux nécessitent de durcir leur management se trompent. Elles risquent de payer à terme un double prix …
Il n’est pas du tout certain en premier lieu que ce type de management conduise in fine aux résultats attendus … Ca peut marcher, mais, sous l’effet de la peur, donc sur le très court terme.
Nous pensons qu’elles risquent par contre de compromettre gravement leurs chances sur le moyen long terme de remotiver leurs salariés et surtout les leaders dont elles vont avoir besoin dans les mois et années à venir.
N’oublions pas également que notre démographie va nous conduire rapidement à un manque de personnels qualifiés et de cadres managers … Par ailleurs, nous aurons besoin de toutes les énergies pour sortir d’une crise qui s’annonce longue et difficile à dépasser.
Mais cette réflexion et cette démarche est-elle adaptée au service public ?
Les organisations publiques subissent la crise plus indirectement mais les effets sont proches. Ils sont comme les autres dans la tourmente et les changements. Les transformations à réaliser par exemples liées à la RGPP (4) sont bien aussi importantes que dans le secteur privé. Ce sont des organisations et des cultures souvent très anciennes qui se trouvent du jour au lendemain écrasées par les réorganisations …
La décentralisation a produit des milliers de mutations, il ne faut pas l’oublier.
Les restrictions économiques, le manque de reconnaissance associé, les pressions … sont d’autant plus difficiles à vivre pour les personnes. Le Ministère de l’intérieur avec la police connaissent un des taux de suicides les plus forts de France[5], nous l’oublions un peu vite …
Face aux changements trop rapides, aux pressions parfois contradictoires …, au stress, l’Homme réagit de la même manière, que l’on soit dans une entreprise publique ou privée. Nous avons tous besoin d’un autre management …
Vous parlez de « management durable » … Est-ce que c’est un management adapté à la crise, voire à la sortie de crise …. ! N’est ce pas à nouveau simplement une mode ?
Est-ce répondre à une mode que de former les managers au coaching, ou bien parce ce que le contexte l’exige et qu’il faut savoir accompagner les personnes dans des transitions quasi incessantes et difficiles pour tous ?
Le monde change vite … et l’homme et les ressources humaines dans tout cela … ?
Repartons du sens … Un monde qui se transforme trop rapidement, un climat qui s’affole … des ressources qui s’épuisent … une gouvernance mondiale en souffrance et le pouvoir laissé à l’économique, au financier et ses nouveaux temples modernes … à Doubaï et ailleurs …
Il y a déjà près de 20 ans naissait le modèle de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise … (6)
Le Développement Durable – chaque jour plus présent dans notre économie - repose sur la nécessité d’une convergence de ses trois piliers : Performance économique, environnementale et sociétale.
Autrement dit, on ne parviendra à la pérennité et à la performance économique, qu’en respectant les dimensions écologiques et sociétales.
« Mais cette convergence n’est pas automatique … Elle suppose de bons choix stratégiques et un système de management et des comportements de management appropriés » (7).
Le concept de « management durable » va plus loin
Le Développement Durable sous entend une « performance durable ».
C’est l’application à l’homme, aux ressources humaines, donc au management dans l’entreprise de l’éthique du Développement Durable.
C’est une réelle préoccupation des entreprises responsables … et elles sont chaque jour plus nombreuses (8) … au risque sinon de perdre leurs consommateurs… La morale est sauve … !
N’oublions pas qu’avant d’être un système d’actions traduit dans des normes, des politiques, des plans d’actions, le Management Durable est une prise de conscience qui se traduit dans une éthique …
Le management durable c’est avant tout cette nouvelle éthique portée par le management : prise de conscience, respect, responsabilité, engagement, coopération, partage … de nos ressources.
L’idée d’écologie managériale repose sur le même principe de transitivité, l’écologie concerne de fait aussi l’homme lui même … ! L’homme aussi est une espèce fragile, dans un environnement sensible …
L’écologie managériale, c’est permettre aux personnes et aux équipes de trouver leurs équilibres, dans un environnement en mouvement … C’est aussi, de fait, retrouver le sens de sa contribution, le plaisir de coopérer autour d’un but commun, de partager des tâches et des missions qui font sens pour soi et la collectivité, in fine l’engagement dans son entreprise.
La question à se poser aujourd’hui c’est comment le manager ou le leader sait d’une part prendre soin de lui, trouver ses équilibres et d’autre part, gérer cette écologie dans son équipe et son organisation ?
Les termes de « management durable » voire « d’écologie managériale » ne génèrent t-il pas parfois de l’agacement et de l’incompréhension, surtout en période de crise ?
C’est vrai que ces termes sont souvent dévoyés, ce qui peut faire penser à un simple effet de mode … Déjà pour le concept de « développement durable », le décalage entre la communication et la réalité fait parfois sourire … Néanmoins il est incontestable que toute la société progresse dans ce sens, y compris l’industrie, même si le rythme peut paraitre bien lent compte tenu des enjeux …
L’écueil avec le « management durable » et « l’écologie managériale » est proche … « Encore des concepts de consultants … » diront certains ! Mais pour nous, derrière le risque d’effet de mode, il y a une vrai réalité, des personnes qui souffrent et un nouveau management à mettre en place, peu importent les mots …
Mais pouvons nous agir ? Ne sommes-nous pas tous prisonniers de notre système ?
Dans notre système actuel, la marge de manœuvre des acteurs RH peut parfois paraitre effectivement faible et leur posture quasi « schizophrénique ». Néanmoins les marges de manœuvre existent.
C’est aussi une vraie question de courage managérial et d’engagement pour nous tous, managers, RH et autres consultants que de faire évoluer le management et l’entreprise de demain.
In fine que faire concrètement ? Quelles actions mener pour nos managers ? Que peut faire une Direction, une DRH ou un responsable formation ?
Concrètement, par exemple en tant que RH, comment dans un esprit de « management durable », je gère la performance et la non performance individuelle ?
Comment je manage la décroissance d’une population d’ouvriers ou d’ingénieurs, ou la délocalisation … ?
Est-ce que je sais, par exemple, mettre en place un management de l’employabilité qui favorise la reconversion en cas de crise ?
Est-ce que mon système de rémunération permet un partage équitable des fruits du travail, encourage la coopération?
Est-ce que je sais promouvoir l’entrepreneuriat interne ? …
Et surtout, encore une fois, est- ce que je m’engage pour cela ? Osons sortir de la passivité qui nous enferme.
Nous sommes tous responsables de « notre monde de demain » et de son « management ».
Concernant les managers, nous leur en demandons de plus en plus, alors qu’eux mêmes sont les premiers dans la tourmente : (9)
Est – ce qu’en tant que RH, mon plan de formation prévoit pour mes managers sous stress, des espaces de parole, de régulation, de coopération, d’Intelligence Collective ?
La première chose à faire me semble t-il serait de les aider à prendre du recul, à se retrouver, à (re) donner du sens, les accompagner pour réguler les pressions face à ces changements permanents.
C’est encore plus vrai pour les seniors, souvent plus touchés que les nouvelles générations…
La tendance a contrario est trop souvent en voulant optimiser les coûts, de réduire la durée des sessions de formation ou de ne proposer que du e-learning …
Vous parlez de « performance durable », de « performance autrement », vers quoi allons-nous ?
C’est avant tout et simplement remettre l’homme au centre … (10)
C’est faire naitre de nouvelles attitudes au travail, c’est porter dans l’entreprise un nouveau regard plus authentique sur soi et sur les autres, c’est faire intégrer de nouveaux réflexes de management …
C’est aussi et avant tout une histoire de coopération, face au repli sur soi.
Il n’y a ensuite qu’un pas pour prendre la route de l’accomplissement personnel … et de l’intelligence collective …
N’est ce pas ce à quoi aspire aujourd’hui la plupart de nos concitoyens … tout homme et toute femme vers une modernité post matérialiste … ? Nous quittons lentement le culte païen de l’objet et de la consommation …Ce n’est que l’histoire d’un siècle …
Vous voyez bien que la formation traditionnelle ne suffit plus à développer nos managers et leaders de demain … ! C’est bien d’autre chose dont il s’agit …
Accompagner leur nouvelle trajectoire identitaire … les aider à se projeter dans une vision personnelle et professionnelle … favoriser la dynamique émotionnelle, rassembler les énergies … toutes les énergies … favoriser les équilibres … les aider à devenir les managers porteurs de sens, de vision partagée dont l’économie de demain à tant besoin !
« Le XXIème siècle sera spirituel, ou ne sera pas … » disait André Malraux.
Peut-être que le manager leader du futur suivra aussi cette voie … dans un monde en carence de croyance et de sens, porteur de l’énergie la plus puissante, rayonnante, inspirante et aussi, quelque part, au service de la performance …
C’est peut-être cela aussi la « performance durable » ou la performance « autrement » !
Qu’en pensez-vous ?
(1) « Tomber plus haut » – Guibert del Marmol- Edition Documents – 2009
(2) « Recherche engagement désespérément : Les nouveaux leviers de l’engagement des cadres » ; Etude de Muriel HUMBERTJEAN, Directeur Général Adjoint, TNS SOFRES.
(3) Elément humain, comprendre le lien entre estime de soi, confiance- Will Schutz –Inter-Editions
(4) Réforme Générale des Politiques Publiques
(5) Avec un taux de 35 pour 100 000, le taux de suicide dans la police est le plus élevé dans la population française (22,1 pour 100 000), vient de révéler une étude de la sociologue Frédérique Mezza-Bellet, réalisée pour l’orphelinat mutualiste de la police et publiée par Le Figaro.
(6) juin1992 : Deuxième sommet de la Terre, à Rio de Janeiro. Consécration du terme « développement durable », le concept commence à être largement médiatisé devant le grand public.
(7) « Le développement Durable » © : Dominique BACQUET et Didier NOYE; à paraître; Insep Editions – tous droits réservés
(8) Un forum a réuni à Genève les 2 et 3 juillet 2009 près de 500 entreprises sur ce thème – « RSE : the global ethic ».[8]. « Pour une nouvelle éthique du capitalisme ; L’innovation et la responsabilité sociale des entreprises en période de crise économique. »
(9) « Le monde est un village qui ne dort plus » ; « Tomber plus haut : Comment découvrir son intelligence intérieure »- Guibert del Marmol- Edition Documents -
(10) Article Progrès de Lyon – 14 janvier 2009. « le management durable, quèsaco ; remettre l’homme au centre » PM Burgat./ Daniel PAJONK