18/03/13

L’ETHIQUE COMMENCE PAR SOI-MÊME

Suite du dossier publié cet été dans « l’Expansion Management Review » (IMPASSE ET DEFIS DU MANAGEMENT)

« Soyez le changement que vous voulez voir dans la monde ». (GANDHI)

Que peut faire le « citoyen du monde » face à ce système capitaliste consumériste et sans âme ? Que peut-on faire à son niveau pour replacer l’éthique au centre et en faire une guidance pour sa vie de citoyen, d’acteur social ou de consommateur au quotidien?

Et si, en dehors de tout pouvoir ou impuissance politique, chacun d’entre nous – manager, responsable RH, consultant, coach – était libre d’augmenter son niveau de conscience et de prendre ses responsabilités ?

« Moi je ne peux rien faire » : la dialectique de l’impuissance 

Beaucoup d’acteurs de la vie sociale et de l’entreprise vivent aujourd’hui une sorte d’essoufflement, voire d’impuissance fataliste : « le système est à bout de souffle, mais on se sent totalement impuissants » ;  «  il faudrait changer le système, moi à mon niveau de manager, je ne peux rien faire, c’est le comité de direction »,  « au  niveau du comité de direction, non, ca se passe au dessous, c’est l’actionnaire, je n’ai pas de marge de manœuvre » ;« tant que le système sera tiré par les fonds de pensions … nous ne pourrons rien faire » … Nous sommes tous confrontés et enfermés par un système capitaliste perverti, nous l’accusons à juste titre, mais ces critiques ne conduisent-elles pas  à renforcer notre passivité ?

« C’est le système » : sortir du manichéisme paranoïaque 

Une autre forme de passivité se retrouve chez de nombreux intellectuels, philosophes,  psychosociologues…, sous la forme de la critique d’un système sans issue … Elle atteint son paroxysme dans la recherche publique française où la culture cristallise ce type de peurs et de croyances manichéennes, à l’encontre « du privé » et du capitalisme. Elle diabolise ainsi parfois sans nuance tout ce qui peut se faire en entreprise, considéré par essence comme suspect, perverti ou susceptible de l’être. N’est-ce pas oublier un peu rapidement que ces entreprises sont habitées – ici et maintenant – par des millions d’hommes et de femmes au travers le monde, le plus souvent fiers de leur travail, attachés à leur métier et porteurs de beaux projets ?

S’ils sont parfois en souffrance et aussi en quête de mieux vivre, s’il y a parfois des drames dans le choc des transformations, il est important de prendre conscience que ces attitudes critiques, certes compréhensibles, in fine n’apportent rien, ni à personne, si ce n’est que de justifier notre propre passivité et entretenir le mal être.

Dans tous les cas – impuissance, critique, diabolisation – il n’y a ni solution, ni action, en dehors de conforter notre sentiment d’impuissance, d’alimenter notre révolte et nos frustrations.

Mais ces attitudes ne servent-elles pas aussi à justifier notre résistance au changement et notre incohérence, éloignés que nous sommes parfois de nous même et de nos propres valeurs ?

L’éthique, mes fraises et ma banque 

Et si la révolution commençait par la conscience ? De quoi suis-je responsable et de quoi je ne suis pas responsable ? Est-ce que j’agis en cohérence avec mes valeurs ? Ai-je un comportement éthique, quels que soient mes rôles, de « citoyen-consommateur », de manager dans l’entreprise ou d’accompagnant ? Prendre ses responsabilités n’est-ce pas commencer par oser se confronter à ses dilemmes de citoyen au quotidien et sortir de son aveuglement ?

Le pouvoir du consommateur a aujourd’hui des impacts incommensurables.

Sans aller jusqu’à l’idéal du « commerce équitable », tout choix et tout acte de consommation banal a une portée éthique considérable. C’est vrai de la barquette de fraises hors saison, ayant traversé l’Europe en camion pollueur. C’est vrai aussi, du four micro-onde à bas prix, fabriqué dans des conditions de travail dégradantes ou par des enfants de pays à bas salaires et provoquant au passage la ruine des industries locales, voire des centaines de chômeurs de plus, dans les pays plus « développés » …

Autre exemple : « ils nous ont fait très mal vous savez …» [1]?

Des milliers de consommateurs se sont précipités au mois de janvier pour bénéficier des offres à bas coût d’un nouvel opérateur téléphonique. Mais se sont-ils demandé une minute au prix de quoi et de qui ces tarifs exceptionnels étaient-ils possibles ? Au prix de combiens d’emplois précaires, de délocalisations, de bas salaires, de pressions, de souffrance, de stress, de désarrois et de nouveaux suicides … ?

Dernier « examen de conscience » …. « mon épargne, mon éthique et moi »

Est-ce que je sais ce que ma banque fait réellement de mon argent ? Est-ce que mon argent – le fruit de mon travail – est utilisé pour des placements éthiques, ou a minima, ne serait ce que pour servir l’économie et non la spéculation ?

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Petit examen de conscience de consommateur éthique  …

- « j’ai changé de banque pour une banque éthique »

- « je me doute bien que …, mais j’assume (j’y pense, mais je n’agis pas) »

- « je ne sais pas vraiment, je n’y avais pas pensé, j’ai un bon PEA … c’est pas si grave, non » ?

- «  je ne veux pas savoir (c’est le système, pas moi ! Il n’y a qu’à changer le système, les banques n’ont qu’à…) … et les autres ? » 

- « c’est ok pour moi, la spéculation est utile et j’en profite.  Cela fait des dégâts, mais c’est la vie. On  n’est pas dans un monde de bisounours ! »

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Si ne serait-ce que 40% des citoyens orientait leur épargne vers des placements éthiques, notre système spéculatif serait révolutionné en très peu de temps !

Mais est-ce que je préfère ne pas savoir et voir le manque d’éthique ailleurs, quelque part au dessus-de moi : mon patron, ma boite, l’actionnaire, le système … ?

Tout consommateur que nous sommes se trouve enfermé aujourd’hui dans le paradoxe  et l’injonction la plus mortifère jamais produite par de notre société : « consommer moins cher pour vivre mieux »[2]. Et quand une réelle pauvreté conduit le consommateur chômeur dans les rayons d’un discounter, sait-il que cet acte alimente à nouveau le système qui l’a exclu et en a- t-il alors vraiment le choix ?

Et si progressivement nous prenions tous pleinement conscience qu’à chaque acte  d’achat « à bas prix», nous produisons de la souffrance, nous écartelons d’autres vies, nous tuons nos propres emplois, nous violentons notre propre qualité de vie pour demain ?

Oui, le changement des habitudes de consommation peut changer le monde, plus sans doute aujourd’hui qu’un bulletin de vote. Oui, l’éthique commence par soi-même …

La suite début Avril : METTRE L’HOMME ET L’ETHIQUE AU CENTRE 


[1] Responsable de service d’un opérateur téléphonique français – mars 2012.
[2] Slogan publicitaire d’un grand distributeur qui se dit « éthique » dans sa communication.
11/03/13

« Ethique et entreprise, des premières incitations réglementaires à la quête des nouveaux consommateurs »

(Suite de l’article de l’Expansion Management Review)

L’entreprise capitaliste par essence cherche le profit et c’est avant tout son encadrement juridique ou normatif qui la guide vers l’éthique, mais aussi le positionnement du consommateur.

La réglementation mondiale tardant à s’imposer, l’éthique entre néanmoins timidement en entreprise. Ainsi aujourd’hui les normes de production qualité ISO 26 000[1] intègrent-elles l’éthique dans leur réglementation.

Par ailleurs, depuis quelques années, l’éthique émerge dans certains grands groupes industriels, comme une fonction de l’organisation[2]. Cette fonction est aujourd’hui souvent couplée avec les missions de Développement Durable, voire de « Responsabilité Sociétale de l’Entreprise », quand la mission existe.

Enfin, sont apparus depuis peu des baromètres de l’éthique. Un classement annuel des entreprises les plus vertueuses est ainsi proposé par le cabinet « ETHISPHERE ». [3]

Certains diront que ces démarches sont avant tout marketing, permettant surtout aux industries de se donner bonne conscience et de redorer leur image.

Pour être plus positif, cela montre que, malgré une marge de manœuvre limitée, la question est prise très au sérieux par certaines grandes sociétés.

Mais quelque soit aujourd’hui leur impact réel, ces leviers de développement de l’éthique ont l’intérêt d’être concrets et de disposer d’indicateurs utiles pour intégrer cette dimension au management dans les organisations.

Mais la vraie vigilance en matière d’éthique est aujourd’hui ailleurs. Les entreprises surveillent avant tout attentivement les « nouveaux consommateurs », au cas où nous deviendrions nous aussi plus lucides, plus « responsables » et plus éthiques …[4]

 La suite le 18 mars 2013 : « L’ETHIQUE COMMENCE PAR SOI-MÊME » …


[1] La norme ISO 2600 intègre l’éthique dans ses recommandations

[2] Le groupe SUEZ a été ainsi un des pionniers en ce domaine. « Prévenir les risques éthiques de votre entreprise » ; HB Loosdregt- Ex Dir des programmes éthiques et valeurs de SUEZ- Insep Editions.

[3] Le classement ETHISPHERE des entreprises les plus vertueuses fait la part belle aux anglo-saxonnes. Cette année en France, seuls Schneider Electric et Unibail Rodamco se distinguent (le figaro.fr ; économie).

[4] Etude Ethicity – 2 avril 2012 – « pour 88% des Français, la crise économique devrait être l’occasion de changer de mode de consommation »…

 

13/02/13

Conduire le changement par le sens : éthique, cohérence et engagement

Premier chapitre de la note de réflexion parue dans l’Expansion Management Review « Impasses et défis du management », rédigée par Pierre-Marie Burgat (juin 2012, 10 p.)

Une société a besoin de principes et de règles pour se pérenniser et se développer harmonieusement. La plupart de nos « valeurs morales » qui organisent les relations sociales – telles la solidarité, le respect, la justice, ou le partage – ont été véhiculées depuis la nuit des temps par les grandes traditions spirituelles. Nous sommes tous intrinsèquement porteurs de ces codes culturels, à dominante judéo-chrétiens, en ce qui concerne la majorité d’entre nous.

Or les systèmes de valeurs qui structurent notre civilisation sont aujourd’hui mis à mal par l’emprise du spéculatif sur nos économies, la tentative de transformation du travail, de la culture, de l’eau, de l’air, de l’espace… et même des relations entre les êtres, en marchandise[1].

De cette crise éthique générale découlent toutes les autres crises : économiques, géopolitiques, politiques, écologiques, sociales,  humanitaires … et les crises au sein de nos organisations.

DE QUELLE CRISE PARLONS-NOUS ?

A la racine de nos crises, il y a une implosion identitaire en chaîne … et donc une implosion des valeurs morales qui structurent nos identités et qui concourent à l’éthique. Mais qu’est-ce que l’éthique ?

On peut définir l’éthique comme « l’art de diriger sa conduite, son comportement… », à partir de l’intégration d’une « morale, science du bien et du mal »[2].

Le capitalisme en lui-même n’a jamais été éthique. Il ne possède pas de morale intrinsèque. Il ne peut être régulé que de l’extérieur, par la loi. Cela n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, en revanche, et que certains auteurs ont pu qualifier de «  révolution ultralibérale », [3]c’est la sacralisation du marché[4]  comme principe général de régulation de la vie en société. L’économie n’est plus «  encastrée »[5] dans la société comme c’est le cas depuis des millénaires, mais c’est la société qui se retrouve «  encastrée » dans l’économie.

L’emprise de l’économie sur la société et celle de la finance sur l’économie, couplées avec la libre circulation de l’image sur web concourent à broyer les cultures et leurs valeurs morales.

Le malaise que l’on observe dans les organisations s’inscrit dans le cadre d’une dérive globale qui est donc loin de n’être « qu’économique ». C’est vrai ainsi de la chute des valeurs de la République, par exemple au travers des surprenantes évolutions du système fiscal français [6] ou encore de ce qu’est devenue en peu de temps la liberté de la presse[7]. C’est vrai, des salaires des footballeurs et du star-système en général, de la dérive de la télévision de consommation[8] ou encore de l’absence totale de garde-fou moral du web. C’est vrai encore, du non alignement éthique de beaucoup de nos responsables politiques qui ne modélisent plus suffisamment l’intégrité à laquelle devrait pouvoir s’identifier tout citoyen et, qui plus est, les  nouvelles générations.

Ce monde devenu global nécessiterait soit des instances de régulation fortes (les instances internationales existantes n’arrivent pas réguler quoi que ce soit), soit un haut niveau de conscience individuelle. C’est d’autant plus vrai dans la plupart des pays industrialisés en occident, que la guidance spirituelle ou religieuse qui assure ce rôle fondamental s’est plus ou moins effacée.

 La suite le 3 mars 2013 : « Ethique et entreprise, des premières incitations réglementaires à la quête des nouveaux consommateurs »



[1] L’exploitation financière de la relation et du lien social par les gestionnaires de réseaux sociaux, dont Face book.
[2] J. ROJOT, « Déontologie et gestion des ressources humaines », 1992, p. 118.
[3] Voir Alain Supiot, «  L’Esprit de Philadelphie, la justice sociale face au marché total », Paris, Seuil, 2010
[4] Expression de Dany-Robert Dufour. Voir aussi Jean-Michel Saussois : «  Le capitalisme, un Dieu sans bible », éditions le cavalier bleu.
[5] On doit cette notion d’encastrement à Karl Polanyi.
[6] Rapport IPP– étude de la fiscalité 1997-2012- de 2002 à 2012, l’impôt s’est allégé pour les tranches supérieures » « notre système fiscal avantage depuis plus de 10 ans  les détenteurs de patrimoines »
[7] Cf. « La concentration dans les médias »-  Observatoire Français des Médias (OFM). Place de la concentration des médias dans les dérives médiatiques actuelles
[8] Voir documentaire : « Le temps de cerveau disponible ». http://youtu.be/4S20kG2MoxI;


2/01/13

Conduire le changement par le sens : éthique, cohérence et engagement

Dossier l’Expansion Management Review « Impasses et défis du management », rédigé par Pierre-Marie Burgat, paru en juin 2012

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Manager autrement, c’est sortir de l’impuissance pour user de notre responsabilité et incarner nous-mêmes le changement que nous voulons voir dans le monde

Les points forts

La crise que nous vivons est avant tout une crise éthique. La carence éthique globale impacte en cascade tous les niveaux de gouvernance, du politique jusqu’à la direction et au management des entreprises encastrées dans le système.

Réduit à sa dimension de « ressource humaine » l’individu cherche en vain un sens à son travail. Ecartelé entre ses identités de « citoyen-salarié » et de « consommateur-épargnant », il peine à trouver une cohérence globale à ses actes.

Les entreprises et leurs managers, malgré la complexité et les pressions du système, disposent aussi de leviers pour pratiquer un management éthique, comme par exemple en associant leur vision aux grands enjeux de responsabilité sociétale et de développement durable.

Pour sortir de l’impuissance, la seule voie possible passe par le « changement holomorphique ». Chaque geste ou acte individuel a des répercussions sur l’ensemble du système. Manager autrement, c’est retrouver le chemin de la cohérence, pour un changement sociétal et dans nos organisations porté par l’éthique et la responsabilité individuelle.

La suite le 28 janvier 2013

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29/12/12

Remettre la personne au centre

Article issu d’une interview donnée par Pierre-Marie Burgat, paru le 14 janvier 2009 dans l’édition « Développement durable » du Progrès

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Le management durable découle d’un besoin urgent de fidéliser sérieusement les collaborateurs

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Qu’en termes simples cela pourrait être énoncé. Ce concept serait certes plus facile à comprendre si l’on évoquait tout bonnement le respect. Respect des humains, des salariés dans leur dignité personnelle, des dirigeants, des objectifs de l’entreprise, de la planète et partant de là tout ce qui doit être pris en considération pour l’arrêt de son exploitation sans fond. Spécialisé dans le management, Pierre-Marie Burgat s’attache à faire émerger des leaders dans les entreprises clientes. « Dans des établissements où il y a de moins en moins de visibilité, où l’incertitude est très forte, nous essayons de trouver des locomotives qui redonnent du sens au travail », explique le consultant lyonnais.

Sur le terrain, cela peut se traduire par une nouvelle manière de manager des projets. Exemple avec ce constructeur automobile où l’objectif est de faire comprendre à l’équipe de R & D que les clients cherchent des voitures simples et pas trop onéreuses, alors que les ingénieurs ne pensent qu’à une chose : en rajouter tant et plus, ce qui, au passage, correspond à ce qui leur a été inculqué par la dite entreprise…

Ce qui a lancé le management durable ? A l’origine très clairement le problème de la pyramide des âges, en déclin. Et le besoin demain pour ne pas dire aujourd’hui, de sérieusement fidéliser les collaborateurs, à commencer par les cadres. « Il faut repenser les relations humaines dans l’entreprise, estime Pierre-Marie Burgat qui travaille ainsi pour Distriborg et avec une grosse major de l’électronique hexagonale. La logique du pack salarial actuel est derrière nous. Nous devons aller vers davantage de participation et intégrer la notion d’engagement. Les gens sont déroutés par le monde de l’entreprise, ils veulent de nouvelles valeurs, davantage de passion, du fun aussi. ». Manière de souligner que l’on peut être heureux dans son job mais à condition d’être reconnu.

Après avoir mis en avant les compétences, nous serions donc baignés dans l’univers de la posture existentielle, qui exige un travail sur soi, des gens qui parlent avec leurs tripes. Tout le contraire de ce qui a été demandé jusqu’ici. Et c’est bien là la difficulté centrale du management durable : compter sur des gens qui ont été habitués à s’autocensurer, à recevoir des coups en courbant l’échine. A l’inverse, le pari du management durable va être de remettre la personne au centre. De placer son développement person- nel dans les priorités.