15/04/16

L’émotion au coeur du développement personnel

La recherche de la compréhension des mécanismes affectifs qui nous animent – notre cœur – est quasi éternelle.

Le besoin de développement de l’intelligence émotionnelle est lui plus récent, en tout cas auprès du grand public .

C’est Daniel Goleman (1) qui dans les années 90 par ses nombreuses publications, a ouvert la voie du développement de l’intelligence émotionnelle au travail et en management.

 

Different expressionsL’intelligence émotionnelle représente aujourd’hui une des cibles favorites du développement personnel.

De très nombreux ouvrages et travaux y sont consacrés, des  recherches scientifiques, aux applications en management, en passant par de nombreux livres ou cahiers pour apprendre à gérer ses émotions.

L’intelligence émotionnelle est aussi l’intelligence du leadership. C’est un des facteurs majeurs de l’alliance, c’est aussi le siège de l’énergie de conquête du leader, le moteur de sa quête de justice et de cohérence …

Il y a peu de films rigoureux sur l’intelligence émotionnelle. Le CNRS a  co-produit en 2002 un intéressant film de vulgarisation , à partir des travaux de 4 scientifiques, dans le domaine de la psychologie et de la neurobiologie des émotions de JP Gilbrat.

 Dans le secret des émotions

Longtemps resté inconnu, cette vidéo est aujourd’hui disponible sur « you tube » (cliquer sur le lien ci-dessus). Le croisement des différentes approches scientifiques sur la question éclaire notre « cœur » d’un œil rationnel.

 Et c’est à chacun derrière le sens d’y trouver aussi l’ouverture du cœur …

________________________________

(1) Voir la bibliographie vivante

5/04/16

La compassion est-elle une compétence managériale ?

La compassion, le partage de la souffrance de l’autre (« souffrir avec l’autre ») fait partie des vertus valorisées par la tradition judéo-chrétienne.

J’ai parfois du mal avec cette promotion de la souffrance, de la culpabilité, voire de ce type de partage … Est-ce la résonance avec ces traditions dont j’ai eu tant de difficultés à me départir, pour enfin me réjouir de la vie, partager mes joies ou en méditer  … ?

Et pourtant … pour le taoïsme et la spiritualité chinoise aussi, la compassion représente la  «porte d’entrée » dans les «vertus de sagesse »…(1)

Dois je en déduire que si je  veux devenir « sage »  (ou « un sage », ou plus «sage » ?) il me faut développer ma compassion ? !

Mais la compassion a-t-elle sa place, a-t-elle un sens dans l’entreprise d’aujourd’hui … ?
A l’heure où  l’engagement  tant recherché pour améliorer la performance, laisse place au stress et à la souffrance au travail, écouter les ressentis difficiles, partager les difficultés, pour aider ses pairs ou équipiers à dépasser une crise ou un passage difficile, n’est-ce pas cela la compassion en entreprise ?

Ne serait-ce pas ainsi  un talent du manager à développer dans les turbulences de nos mutations et autres « crises » que nous vivons ?

Et moi qui serre les dents et les poings, souvent à fond dans l’action, je n’ai pas le temps … Et moi qui suis par nature si peu compatissant, faut-il que je m’ouvre à plus de compassion et si oui, comment ?

Mais est-ce que ça peut s’apprendre ou se développer la compassion ? Et qu’est ce que ca apporte à l’entreprise ?

Pour la psychologie chinoise (influencée par la tradition taoïste (2), l’entrée dans la compassion – porte de la sagesse – passe  inévitablement par l’auto-compassion. Il n’est pas possible d’entrer en compassion avec l’autre, sans  être en contact avec sa propre souffrance, sa propre fragilité…

Moi si Fort … ! Ça va être dur !  Me montrer fragile … ?

C’est un peu comme l’écoute empathique qui nécessite l’écoute de ses propres émotions. Pour entrer dans l’auto-compassion, il faut être suffisamment en lien avec ses propres souffrances, ses fragilités, ses blessures, ses égarements et autres incomplétudes … pour pouvoir s’ouvrir à la souffrance de l’autre, pour l’aider in fine à dépasser « sa propre crise » et à grandir en (la) se dépassant »… Bref, à être plus performant.

La compassion n’est-elle pas ainsi le stade ultime de l’écoute, la « quatrième écoute », au-delà de l’empathie, savoir vibrer ici et maintenant dans ce que vit l’autre de tragique ou de souffrance, pour renforcer nos liens, voire créer d’autres liens ? N’est-ce pas aussi le chemin d’une autre Joie dans le partage,  vers une autre « réussite » ?

De puissants témoignages sur cette idée révolutionnaire pour le monde de demain, lors de la journée de la compassion, organisée par l’INREES, le 23 avril 2013.

Ci-après quelques extraits de témoignages célèbres dans la vidéo « oser aimer » (dont celui de Matthieu Ricard, ou encore de Thierry Jansen) puis celui Lytta Basset – professeur de théologie), puis enfin celui de l’écrivain Bernard Werber  

Vous trouverez tous les autres… dont le plus célèbre porteur du développement personnel,  le  dalaï-lama !

http://compassion.inrees.com/

 

 

Le témoignage de Lytta Basset – professeur de théologie.

 

 

La  philosophe Leila Anvar

 

 

L’écrivain Bernard Werber

 

 

 

———————————————————————-

(1) Cours de psychologie chinoise –  Jocelyne Lemarchand -Mars 2013-D’après la psychologie Chinoise Xin Li ; – Traité de psychologie chinoise. Michel Deydier-Bastide (2)
(2) La psychologie traditionnelle chinoise Xin Li, dont le contenu est aussi originel que traditionnel, est issue des principes de la sagesse taoïste de la très ancienne première Chine et des connaissances acquises par la médecine chinoise à travers le temps. Cet ouvrage présente une psychologie humaniste résolument originale et, en même temps, formidablement porteuse d’espoir pour celui qui souhaite mieux connaître les méandres de l’esprit, pour celui qui souffre ou qui aspire à un bonheur réel. Il expose les mécanismes mentaux de façon analytique, dans une approche des processus spécifiquement psychologiques, conforme à l’universalité des principes originels du Tao. La physiopathologie de la psychologie traditionnelle chinoise, trop souvent réduite à l’étude des syndromes d’organe ou à la théorie des cinq éléments, est ici présentée dans son intégralité.

31/08/14

Des valeurs, à la cohérence, chemin d’énergie et d’accomplissement ?

Conversations dans un TGV, sur un quai de métro… sur le chemin, les coins de tables et les traboules d’une université d’été… Merci à mes interlocuteurs pour ces moments d’échange … (et je sais qu’il y avait un (e), des  psy dans la salle…!)

 « Le bonheur est cet état de conscience qui résulte de l’accomplissement de nos valeurs »[1]A l’opposé, dans une société en manque de sens et du cadre qu’apportent les valeurs, le stress, les risques psychosociaux augmentent… 

Nous aspirons tous à plus d’éthique et surtout de « cohérence ». La cohérence, c’est plus de fluidité, de bien-être, d’équilibre et d’énergie… ! Pouvoir être nous même, sans masque, dans notre « fragilité », mais aussi dans notre puissance et notre « beauté »… Plus de cohérence avec nous même, pour être vus, perçus… comme nous avons le sentiment d’être. C’est aussi vivre ce que nous souhaiterions être… C’est ça le bonheur ? La cohérence nous renvoie aussi nécessairement à l’alignement avec nos valeurs, sur le chemin de l’accomplissement et du « deviens qui tu es » …

Mais la cohérence est-elle un état ou une quête d’idéal, et qui fuirait un peu plus à chaque pas, un peu comme le bonheur que nous pourrions poursuivre inlassablement, sans jamais le rencontrer ? La cohérence est peut-être tout cela à la fois,  un état d’équilibre et une quête, donc une motivation pour l’action…

Quand nous pensons « cohérence », nous pensons le plus souvent à « l’incohérence »  entre la parole et les comportements ou l’action. « Il/elle se dit solidaire et il joue perso, quel(le) égoïste !». Si c’est au travail, nous pensons souvent à notre manager ou à notre direction… « Ah ! elles sont belles nos valeurs, voyez comme ils se comportent, ils peuvent bien parler de valeur et d’éthique au travail », me disait le manager d’une grande banque, dans une période de PSE …

Et nous pensons surtout à – l’incohérence  des autres – peu à la notre… ! Cette incohérence (la notre) nous est souvent peu visible ou consciente. Elle fait partie de notre « zone aveugle »[2], ou de nos « ombres ». Tout se joue dans nos automatismes inconscients, identitaires « (je suis ») et émotionnel (« je ressens »). Nous ne nous avouons pas notre incohérence car elle nous dérange… Elle génère agacement ou culpabilité, et c’est tellement plus simple comme cela, de voir notre incohérence ailleurs…, chez l’autre.

Notre incohérence exprime en fait, le décalage entre ce que nous souhaiterions être et ce que nous réussissons à faire. C’est d’autant plus dérangeant que notre intention est bien là !

L’américain Jim Mitchell, un des maîtres de « l’art du leadership personnel »[3], disait dans un séminaire, que oser « demander du feed-back nous éloigne de nos illusions (notamment de cohérence) et donc nous fait grandir »…

D’ailleurs, que c’est agaçant quand quelqu’un vous met le doigt  dessus, nos incohérences (et même gentiment !). Oui, c’est normal que ça nous perturbe, car la colère protège notre identité et elle n’est qu’une représentation…, en perpétuelle reconstruction, elle n’existe pas… et en plus, elle est parfois si fragile, quand elle se reconstruit dans toutes nos ruptures et transitions ! « Pierre-Marie, et bien… toi qui est psychologue, coach et qui fait du développement personnel, c’est ça que tu apprends à tes clients, et bien bravo … ! »  Aie aie aie …  la vache ! Humm, humm, restons modeste… En tout cas, ça me rends plus humble, quand on me montre mes incohérences, et en plus c’est une vertu de sagesse, donc, cheminons …

Mais que nous apporte donc ce fameux « alignement » ou cette « cohérence du sens » ? Et … comment arriver à la développer ?

Bonne nouvelle, au plan de notre dynamique psychologique, la mécanique humaine fait du développement de notre cohérence un processus auto-énergisant.

Ce n’est pas pour rien que certains philosophes et écrivains y voient une voie d’accomplissement, voire, y assoient leur conception du bonheur…[4]

Ce phénomène est du en fait aux automatismes des fonctions émotionnelles, associés aux besoins que nous avons déjà évoqués. Plus je suis cohérent, plus mon énergie s’accroît … Plus je suis incohérent, plus je me sens faible, mal à l’aise ou impuissant. Plus je m’éloigne de mon code moral, plus la culpabilité me « sape » mon énergie, me fait souffrir, me « torture »… Plus je progresse vers mon idéal, plus mon énergie s’accroît… Nous retrouvons là la dialectique freudienne, entre le dictât de notre « surmoi » (nos valeurs morales) et notre « idéal du moi », autrement dit, l’éthique !

Et le management dans tout ça ? La philo, la psychanalyse,  ça va bien 5 mns !

Je préfère parler avec les managers, de confort et d’inconfort psychologique, c’est plus simple…:

  • Plus je m’éloigne de mes valeurs de base, plus je suis dans l’inconfort. Je ressens de la culpabilité ou de la colère, si je subis la situation. Si je sors de cette impasse, le malaise disparaît. Les émotions ont assuré leur fonction, tout va bien à nouveau. Si non, le malaise persiste et peut se cumuler à d’autres. Mon énergie diminue alors, consommée dans ce conflit interne permanent …
  • A l’inverse, plus je suis aligné, plus je me sens confortable. Mon énergie est fluide (pas de blocages, ni de conflits). Plus la cohérence est bonne, plus l’énergie est forte.

Par ailleurs, plus de cohérence, c’est être plus présent à soi, donc aux autres. N’est-ce pas être plus authentique ? Et si « je » suis « moi », aussi dans mes fragilités, c’est que je tolère l’erreur… N’est-ce pas la porte de l’innovation, comme de la prise de risque ?

Pour l’entrepreneur et militant humaniste Jacques Benoit[5],  être éthique pour un dirigeant ou un manager, c’est « la capacité à ne pas se satisfaire de ce qui est, à remettre les choses en question, à se remettre soi-même en question »… C’est agir concrètement pour une meilleure cohérence avec ses valeurs et ses convictions. N’est-ce pas une des définitions du leadership ?

La cohérence est en faite l’axe principal du développement du leadership personnel : comment transformer le monde (son environnement) pour le rendre plus proche de nos convictions et de nos valeurs … Comment, pour l’entrepreneur-manager trouver un équilibre entre le financier, l’économique, la raison d’être de l’entreprise, et ses valeurs  de « dirigeant »…,  dans l’hyper complexité d’un monde en mutation…

Au plan collectif, la question de la cohérence concerne aussi la cohérence de ses propres valeurs avec celles de son organisation. Est-ce que je me retrouve suffisamment dans les valeurs de mon entreprise ? Nous savons tous que si ce n’est pas le cas, nous vivrons dans le malaise, à moins de pouvoir quitter ce collectif dans lequel nous ne nous « reconnaissons plus », pour retrouver plus de cohérence, plus de sens … Le plein sens ?

Les valeurs partagées sont donc bien un facteur majeur d’identité collective et donc de cohésion d’équipe …

Enfin la cohérence, c’est aussi celle de l’organisation : plus elle est alignée avec sa vocation et ses valeurs, plus sa culture est cohérente avec son système d’action et plus elle est efficace… La cohérence nous conduit aussi à la performance !

Mais ça, c’est une autre histoire d’éthique … celle de la performance durable … et de l’écologie managériale. C’est aussi une vision qui s’ouvre à qui le veut … « Chacun est seul responsable de tous ». « Si le grain de sable refuse d’être un grain de sable, il ne peut y avoir de désert. Si la goutte d’eau refuse d’être une goutte d’eau, il ne peut pas y avoir d’océans » (Saint-Exupéry)

Et la suite, c’est, si « dieu » le veut,  dans mon prochain livre …!


[1] Ayn Rand 1905 – 1982 romancier américain

[2] Selon de célèbre modèle de la « fenêtre de Johari », la zone aveugle, c’est  ce que je ne sais pas à mon propos, mais que les autres connaissent. Les autres zones : le grand jour : ce que je sais sur moi et que je montre aux autres; la face cachée : ce que sais sur moi et  que je cache aux autres. L’inconnu : ce que ni moi ni les autres ne connaissent de moi (mes ombres).

[3] Jim Mitchell est aussi un des enseignants fondateur du mouvement pacifiste Canadien « MKP » (mankind project/ le projet de l’humanité) : «  les nouveaux guerriers ».

[4] Ayn RAND 1905 – 1982 ; romancier américain

[5] A publié, « Le livre blanc de l’éthique »- 2010.

1/04/14

Le leadership personnel en 20 questions (suite de la question 7)

Mais, les profils des  « managers leaders » d’aujourd’hui ont-ils changés ? Y-a-t-il un profil idéal de « nouveau leader » pour notre époque ?

Suite des 7 questions précédentes sur ce blog : « quels impacts concrets du besoin de sens au niveau de l’entreprise et de son management »; « la différence entre un leader et un manager » et « quelle définition donner du leader et du leadership ».; « on met le leadership à toutes les sauces » ! « N’est-ce pas aujourd’hui aussi un phénomène de mode ? » « Pourquoi ce besoin de sens est-il si important . « Pourquoi les entreprises d’aujourd’hui ont –elles plus qu’avant besoin de « managers leaders » ? » « Quelles sont les caractéristiques ou compétences de base d’un leader aujourd’hui ? »

Nous avons tendance à idéaliser les leaders  et à les ramener à quelques grands personnages charismatiques. Or pas plus que la femme ou l’homme idéal, le leader idéal n’existe pas … Un leader n’est ni un surhomme ni une « wonder woman ».

Un « leader manager » aujourd’hui dans son organisation, c’est avant tout un homme ou une femme comme vous et moi …  Et nous sommes tous des personnes fragiles et vulnérables … Nous subissons tous les contraintes et paradoxes de notre époque…, nous sommes tous en quête de sens …

Pour assumer nos responsabilités d’homme et de femme, de nouveau citoyen, pour assurer notre rôle de leader au quotidien …, pour pouvoir contribuer à conduire les autres de manière sereine, il nous faut donc avant toute chose comprendre ce que nous vivons intérieurement, gérer nos propres transitions, entendre et  dépasser nos  peurs, nos fragilités… gérer notre énergie dans la durée … ! Bref appliquer le « connais-toi toi même » de Socrate !

Pour conduire dans une mer agitée et parfois en eaux troubles …, un manager leader doit en effet développer une excellente connaissance de lui-même et des autres. C’est sa première compétence. Cette « Intelligence de Soi » peut se traduire en termes de compréhension de nos fonctionnements personnels, de développement de l’estime de soi, de la confiance et de l’affirmation de soi, d’intelligence émotionnelle, mais aussi de gestion de ses énergies et de ses équilibres, personnels et professionnels …

Deuxièmement, le leadership est systématiquement associé aujourd’hui à la conduite du changement et des transitions[1]. En période de changements permanents[2], la guidance du leader doit pouvoir intégrer une dimension d’accompagnement des personnes et des équipes. C’est pour cela que de nombreux professionnels associent aujourd’hui le leadership et le coaching.

Troisièmement, face aux enjeux de transformations permanentes, le leader d’aujourd’hui apparaît nécessairement comme un puissant vecteur d’adaptation, de promotion des changements, de progrès et d’innovation.

Cela veut dire que le leader a su développer une forte capacité d’anticipation, d’intuition, pour saisir les enjeux et les traduire dans une vision, ou plus simplement les concrétiser dans l’orientation de son action.

Cela signifie que le leader aura avant cela construit sa propre vision … Comment en effet espérer conduire les autres sans avoir soi même une vision suffisamment claire, autrement dit un projet de vie personnel et professionnel … ?

Quatrièmement, pour affirmer ses convictions, réaliser ses ambitions, innover, adapter son organisation, développer, … un leader d’aujourd’hui doit savoir prendre des risques. Il doit oser confronter le système auquel il appartient pour le faire progresser, confronter ses pairs souvent dans la résistance et aussi dépasser ses propres limites …

Cinquièmement, cette prise de risque jalonne inévitablement sa trajectoire de revers, de difficultés et d’échecs possibles. Le leader doit aussi savoir gérer et dépasser ses échecs. Sans acceptation de l’échec, de sa propre vulnérabilité, il n’y a pas de leadership possible. Encore une fois pas de surhomme en leadership, mais des hommes et des femmes parfois fragiles mais capables d’une certaine résilience

Une analyse plus approfondie dans mon livre à paraître en fin d’année avec Inter-éditions…



[1] Leading change, John Kotter, Harvard Business School Press.

[2] « Le changement est devenu la seule constante dans les organisations » ; Laurent BURATTI – La Transformance- Une stratégie de mise en action des hommes et des organisations- Editions Inter-éditions.

 

 

8/12/13

La course vers le « global management », leaders ou victimes ?

Notre mutation vers « le global », progresse inéluctablement depuis plus d’un siècle, avec la fulgurante accélération des 15-20 dernières années, donnée par le numérique…

Et ce n’est pas de tout repos pour tous ! Par ailleurs, chacun y va à son rythme. Il y a, comme partout, ceux qui sont loin devant…, ceux qui suivent…, ceux qui résistent … ceux qui sont déjà largués…, ceux ramassés par la voiture balais…, et les blessés, par l’ambulance… Notre mutation, n’est donc ni «un long fleuve tranquille », ni « une promenade de santé »…

Loin devant, il y a les plus grands groupes internationaux. Leurs managers ont depuis longtemps abandonné leur langue natale au travail et leur culture locale. Dans ce « pays là », nous sommes déjà arrivés de plein pied dans la « civilisation globale ». Dans ce grand groupe industriel Français dont j’accompagne les managers depuis plus de 10 ans dans leur propre mutation, ils parlent anglais, la direction Française habite Hong Kong, les valeurs morales sont globales, les programmes de formation sont conçus en Chine et gérés en Pologne, les DRH France souvent d’une autre origine, les programmes stratégiques s’appellent « One » (un seul)  ou « Connect », ils se déclinent dans tous les domaines, tous reliés dans une seule et même culture Monde. Parfois, à partager la vie de ces managers, j’ai l’étrange impression de vivre un peu en avance…, dans « le meilleur des mondes ». Et ces grandes entreprises là ont aussi réussi sans sombrer à cumuler les multiples transformations : mondialisation de toutes les fonctions, changement de culture et d’organisation, uniformisation des systèmes d’information, rachats et absorption régulière de nouveaux entrants aux cultures diverses…, tout en dégageant chaque année suffisamment de résultats, pour poursuivre leurs conquêtes, sur des marchés très chahutés. Impressionnant !

A l’intérieur même de ces grosses organisations globales, les transformations, même « réussies », produisent inévitablement « de la  casse ». Il y a aussi ceux qui « leadent », foncent devant, jusqu’à ceux qui lâchent en route… autrement dit, qui ne peuvent plus suivre le rythme effréné des changements. La montée des RPS en témoigne. La route est parfois complexe pour ces managers écartelés entre leur identité locale et une entreprise à la culture globale. Une nouvelle forme de schizophrénie ? Je dirai plus simplement, une autre dyschronie !

Le DRH d’un des leaders mondial de l’électronique me livre son analyse, lors d’un entretien de diagnostic, pour lancer un programme de prévention des RPS. Voici un extrait de son interview.

« Le découpage du monde et les flux économiques nécessaires à notre survie amènent un « développement bicéphale » de nos managers, avec la production utopiste d’un « homo économicus » mondial, et la nécessité par ailleurs, d’un enracinement de nos identités dans un territoire … Les RH doivent contribuer à un processus d’équilibrage entre ces deux identités « schizophréniques », refaire le pont, se ré-ancrer dans les enjeux régionaux, favoriser aussi l’identité locale et sa valeur ajoutée dans l’entreprise. Dans ce contexte, les managers sont « paumés »(…) Le métier a évolué, leur responsabilité aussi. « Le manager local est pris entre ses chaussures de montagne et son rôle d’homme global » … Leurs réactions face à cela, sont souvent « le contrôle et la défense ». Comment pouvons nous les aider à mieux assumer leur identité locale, savoir arbitrer entre leurs responsabilités managériales, avec un système de valeurs retrouvé… ? »

Mais au bout du long peloton des grandes entreprises en mutation, plus perdus encore, il y a souvent les plus petits,  les PME, TPE, et leurs dirigeants.

Mais au faite, nos dirigeants, nos leaders souffrent-ils, stressent-ils eux aussi, de ces crises et de ces ruptures de civilisation ? C’est un sujet tabou par excellence, y compris dans nos études statistiques peu intéressées par le sujet. Il est aussi étonnant de constater que les plus grands auteurs qui planchent sur la question des RPS, comme par exemple, Christophe Déjours[1] ne s’intéressent qu’aux salariés, « eux qui subissent le stress ». Aucune n’étude n’existant sur le sujet et, témoin de ce malaise, c’est pour cela qu’Olivier Olivier TORRES, spécialiste du management des PME, a créé « l’Observatoire Amarok » de la santé des dirigeants, et plus spécialement, de PME et TPE.

Pour cet universitaire, « les spécialistes de la souffrance au travail considèrent que la souffrance au travail  résulte d’un état de domination. Le patron étant le « dominant », il ne peut pas souffrir »« De leur côté, les dirigeants de PME sont prisonniers de l’idéologie du leadership qui ne cesse de donner du dirigeant une image narcissique de lui-même. Le dirigeant est un « leader », un « winner », un « battant »… il ne peut donc pas souffrir ! ».

Et pourtant, les premières études de cet observatoire sont édifiantes : « La souffrance patronale est une réalité méconnue et pourtant réelle. Il suffit d’être attentif aux cas de « burn-out » qui peuvent parfois dégénérer jusqu’au suicide…

Et effectivement…, on dénombrait en France deux suicides de dirigeants de PME-TPE par jour en 2012 ![2]

Oui, au bout de la chaîne et sous le rouleau compresseur de la globalisation, il y a l’individu qui souvent subit le plus, mais aussi nos dirigeants, nos leaders et nos nouveaux « global managers » sont aussi parfois fragilisés.

D’où l’importance réaffirmée de trouver dans le développement personnel, un levier majeur de transformation managériale, à la fois comme protection et comme levier de performance, dite « durable »…

La suite dans mon prochain livre … à paraître en 2014 avec DUNOD et Inter-éditions

Pierre-Marie



[1] Psychiatre et spécialiste du travail, a mené de de nombreuses recherches sur la souffrance au travail ( il est notamment l’auteur de « Souffrance en France » – éditions du Seuil -1998

[2] Olivier TORRES, universitaire, spécialiste du management des PME et fondateur de l’Observatoire Amarok.