19/06/16

Le bien-être au travail : paradoxe, leurre ou nouveau contrat social ?

On attribue au « bien-être deux étymologies : « sensation agréable procurée par la satisfaction des besoins du corps et ceux de l’esprit » (1555)  et en 1740 « se dit d’une subsistance aisée et commode. Il a le nécessaire, mais il n’a pas le bien-être ». [1] Le concept  a été remis en avant dans la définition de la santé par l’OMS en juin 1946[2] : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social ».

Cette définition fait référence dans le monde contemporain.

Le bien-être renvoie ainsi aujourd’hui à trois principales désignations « physique », « mental », « économique et social ».

  • Le bien-être physique dépends de  la satisfaction des besoins corporels primaires, de tous nos automatismes de vie et de nos instincts de base.
  • Le bien être psychologique serait lié à la satisfaction de nos besoins supérieurs liés à notre vie affective, familiale et aussi professionnelle
  • Le bien être économique et social, renvoie lui, au plan personnel à la satisfaction de notre « intégration sociale », au niveau attendu par chacun (en psychanalyse, vis-à-vis de « l’idéal du moi »).

Au plan collectif, ce niveau de bien-être renvoie aussi à des indicateurs économiques par population. Mais le bien-être économique est-il totalement objectif ? Il est souvent fait référence au « paradoxe d’Easterlin » qui montre aussi sa subjectivité sur ce plan. Ainsi « une hausse du PIB ne se traduit pas nécessairement par une hausse du niveau de bien-être ressenti par les individus ». Les explications avancées font notamment appel au « paradoxe de l’abondance ». Nous connaissons tous également l’exemple des malheureux vainqueurs du loto, du déséquilibre de vie et de santé que cela peut générer chez eux.

Le bien être- physique, psychologique ou économique – est « dans notre gamelle »et, dans tous les cas, lié à un ressenti de notre état de santé physique, psychique, social ou « économique », si nous nous comparons à nos pairs ou à notre catégorie sociale.

 Le bien-être est t-il culturel ?

Toute l’histoire du bien-être serait aussi « celle de notre rapport au corps, à la nudité, et elle implique des enjeux esthétiques, sociaux et religieux »[3].

De toute évidence, si la représentation du bien-être est personnelle, liée à notre psychologie, elle est aussi « culturelle » et « religieuse ». En France, le concept a tendance à s’opposer à l’idéologie chrétienne traditionnelle. Le bien-être est-il possible sur terre, ou davantage lié à la rédemption de nos « péchés » et dans une vie ultérieure ? La doctrine chrétienne repose pour beaucoup sur le sens donné à la souffrance sur terre, et  l’importance accordée à la culpabilité, la mort étant souvent représentée comme une entrée dans cet « au-delà rédempteur ». Bref le bien-être et le plaisir ne sont-ils pas pour la doctrine chrétienne traditionnelle à rechercher au paradis et le travail davantage lié à la souffrance … ?

 Un état de conscience
Le bien- « être » dans la société de consommation apparait très lié à « l’avoir ». Pour la plupart des personnes gouvernées par leur ego, le bien-être devient alors, comme le bonheur, une sorte de leurre jamais atteint, lié à la possession de biens, d’un niveau de confort et donc, à la consommation. Le bien-être lui-même peut parfois devenir, par effet de mode un nouveau produit à consommer, autant pour atteindre son niveau social que pour son réel équilibre.

Pour les personnes plus conscientes, la sortie pour tout ou partie de l’emprise égotique ouvre la porte à un bien-être plus immatériel. Il peut conduire à toute les formes laïque de « spiritualité sans dieu », y compris dans l’entreprise, comme avec la mode du mindfullness.

Il renvoie à la notion d’équilibre psychique et de conscience. Le bien-être, quelque soit nos conditions de vie demeure bien un ressenti, expression de nos équilibres psychologiques, de notre niveau de conscience et de notre capacité à gérer nos frustrations.

Et le bien-être au travail ?
Le travail signifie dans notre culture « souffrance ». Le « bien-être au travail » constitue donc pour certains un vrai paradoxe ! Ce n’est pas pour rien que les techniques de bien-être au travail nous viennent d’autres cultures spirituelles, comme avec le mindfullness ou la sophrologie, inspirés du bouddhisme.

Le « mal-être au travail » s’appelle « souffrance au travail ». Il rejoint les nombreuses catégories de risques psychosociaux que connaissent nos concitoyens aujourd’hui, du stress au burn-out, poussés au plan sociétal, par le « désemploi », la pression sur la productivité et les changements permanents.

Notre médecine traditionnelle est peu ouverte à la notion de bien-être. La médecine allopathique « existe » dans son identité profonde, pour soigner et limiter la souffrance, qui est sa véritable raison d’être. Très souvent les médecins du travail que je côtoie ne croient pas au bien-être en entreprise, perçu comme exclusivement manipulatoire.

Mon positionnement est plus nuancé, entre « angélisme utopique » et diabolisation, il y a je pense une troisième voie, pour développer le bien-être au travail, levier majeur d’engagement pour les nouvelles générations.

 Nous en discuterons ensemble la prochaine fois …



[1]  1. 1555 « sensation agréable procurée par la satisfaction des besoins du corps et ceux de l’esprit » (E. Pasquier, Le Monophile, 20a, cité par Vaganay dans R. Et. Rab., t. 9, p. 301); 2. 1740 (Ac. : Bien-être se dit d’une subsistance aisée et commode. Il a le nécessaire, mais il n’a pas le bien-être). Composé de bien* adv. et de être*.

[2] Préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, tel qu’adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. 1946; (Actes officiels de l’Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948

 

[3] http://www.culture-sens.fr/pour-se-faire-une-idee/1495/le-bien-etre-est-il-une-notion-contemporaine

15/10/15

La qualité de vie au travail, c’est retrouver l’homme …

La qualité de vie au travail ou  le « weel beeing at work », sont aujourd’hui reconnus comme des leviers incontestables de performance.
La QVT, c’est aussi le lieu du consensus social, avec la signature des accords interprofessionnels de 2013, puis cette année la dernière loi REBSAMEN [1]

Mais l’entreprise prend-elle bien aujourd’hui la mesure de ces enjeux ?

Ici une demi-journée de sensibilisation…, là, un peu de communication interne et une petite dose de e-learning et avec, en prime, un atelier bien-être … ? Et nous espérons mener ainsi à bien cette transformation là ? Est-ce bien sérieux ?

Au-delà de l’habillage marketing et des stratégies illusionnistes du bien-être, aller vers une culture QVT performante, comme un véritable facteur de business nécessite une profonde transformation managériale. Intégrer la QVT dans une vision d’entreprise correspond à une réelle évolution de culture. Et comme toute évolution culturelle, elle doit être portée par la direction et son management.

Comment, par exemple, arriver à concilier la pression à court terme de l’actionnaire sur les résultats, avec la sécurité des managers sur le terrain, à la base de la qualité de vie au travail ? Avons-nous oublié le langage de nos émotions ? Ne savons nous pas que la peur est inhibitrice…et donc aussi de la créativité, de l’innovation et de la prise de risque, dont nous avons tant besoin ?

Et comment autrement que par la formation et l’accompagnement opérer cette transformation managériale,  aujourd’hui indispensable pour relancer nos énergies et sortir de notre morosité ?

La qualité de vie au travail c’est à la fois une philosophie et un état d’esprit … Bref c’est une vision du monde. Et si notre vision est parfois si sombre, ne devons-nous pas aussi « nettoyer nos lunettes » et rechercher la lumière ailleurs, voire en soi ?

Si nous voulons faire de la qualité de vie au travail un outil de sortie de crise et de redynamisation sociale ne doit-elle pas passer par la transformation de nos modes de management, vers un management lui aussi plus « durable » ? Et retrouver la voie d’un management responsabilisant et porteur de sens,  mieux comprendre les clés perdues de la nature humaine, le bon sens égaré … la philosophie oubliée…, la formation ne demeure-t-elle pas au centre de ces « retrouvailles », celles de l’homme avec lui-même … ?



[1] Accord National Interprofessionnel (ANI) sur la Qualité de Vie au travail (2013). Loi REBSAMEN obligeant à la négociation annuelle de la QVT d’aout 2015

19/09/15

Les nouvelles clés du développement personnel au travail pour concilier qualité de vie et performance durable

La gestion du stress, une compétence managériale ?

Notre mutation et ses nombreux changements génèrent un surcroît de paradoxes, de complexité, de tensions et, in fine, de déséquilibres émotionnels et de frustrations.

C’est vrai de la tristesse, émotion associée au deuil et aux transformations. C’est vrai aussi des peurs permanentes générées par les pressions incessantes de productivité, ou encore sur l’emploi.

Cette situation et ses impacts humains sont en grande partie à l’origine des risques psychosociaux et, principalement, du stress chronique.

Connaissant ces mêmes inquiétudes, les managers sont encore plus exposés au stress au travail.

« Entre le marteau et l’enclume » cette double contrainte est un facteur de risque majeur.

Par ailleurs, leur « devoir de réserve » est particulièrement nuisible à leur équilibre émotionnel. Ne pas pouvoir parler à ses équipes, de situations difficiles ou anxiogènes, empêche en effet de réguler ses émotions.

Un manager me confiait récemment que le malaise allait grandissant dans sa ligne hiérarchique. Il savait que certaines activités risquaient d’être supprimées en France, sans pouvoir en parler. Ces non-dits sapaient la confiance mutuelle et « pourrissaient le climat » (…). « Impossible de redresser la performance, notre plan de succès « FORWARD » est voué dès le départ à l’échec par manque de sens et de confiance et ça, la direction ne veut pas le comprendre…! »

Autre exemple, ces jeunes managers que j’initiais au leadership personnel me confiaient les tensions et le repli sur soi vécu dans les équipes. La trop longue incertitude sur le choix des licenciements, dans le cadre d’un plan social annoncé pourtant depuis plusieurs mois, avait tellement dégradé le climat qu’il devenait impossible de maintenir une performance, pourtant vitale pour l’avenir.

Un des enjeux de la promotion du développement personnel au travail est aussi de développer les managers pour qu’ils sachent déjà mieux se protéger des sources de stress, mieux le gérer et éviter de le transmettre à leur équipe.

Ils pourront ainsi être mieux armés pour contribuer à sa prévention, par un management plus serein et plus  propice à la qualité de vie au travail…

Extrait de « Les nouvelles clés du développement personnel au travail pour concilier qualité de vie et performance durable » – A paraitre – Inter-éditions – DUNOD – 2016 -

27/11/14

Et qu’est-ce que c’est que la maturité managériale ?

De Moise,  au manager  … de la délégation à la qualité de vie au travail 

Désigner et former « des chefs » est une préoccupation ancestrale. Dans l’ancien Testament, MOISE apprenait déjà la délégation !

A décider seul … « à coup sur tu t’épuiseras, et toi et ce peuple qui est avec toi, car cette tâche est trop lourde pour toi ». Tu ne peux l’accomplir à toi seul »…et tu devras leur faire connaitre la voie où ils doivent marcher et le travail qu’ils doivent faire…(21) Mais toi, tu devras choisir parmi tous le peuple des hommes capables, qui craignent Dieu, des hommes dignes de confiance, qui haïssent le gain injuste ; et tu devras les établir sur eux comme chefs de milliers, chefs de centaines, chefs de cinquantaine et chef de dizaines… (22) Allège-toi donc de la chose ; ils devront porter la charge avec toi »…[1]

Et pour l’entreprise contemporaine, développer le management fait toujours partie des fondamentaux des plans de formation… Il s’agira le plus souvent de former les managers aux différentes techniques que nous connaissons tous (conduire une réunion, manager un projet, déléguer …). Mais parfois, la formation ne suffit plus. Quand l’entreprise doit évoluer de manière importante, par exemple pour s’ouvrir davantage à une nouvelle organisation mondiale ou encore, changer de positionnement stratégique, il s’agira de faire évoluer le management de manière plus profonde. Ce besoin est souvent formulé en terme de « maturité managériale ».  Au cœur de notre mutation, alors que notre changement d’ère s’accélère, il est beaucoup question de « transformation » du management.

La « maturité managériale, un management centré sur le sens

Le concept de « maturité » n’étant pas très vendeur (cela voudrait dire que les managers actuels ne sont pas matures… !), les entreprises préfèrent souvent parler de « leadership ». Le manager-leader est en effet considéré dans la doctrine managériale, comme un manager d’un haut niveau de maturité, capable de s’extraire de son rôle technique ou de gestion, pour manager davantage par le sens, donc en leader…

Le concept de « maturité managériale » a émergé avec la nécessité de performance du management et avec l’accélération des changements. Il était devenu indispensable que le manager sorte de sa posture d’autorité, pour s’ouvrir à la responsabilisation, à la performance d’équipe et au leadership. Cette évolution correspond aussi au plan social, à la sortie de trois siècles de société disciplinaire, le style de management en étant aussi le reflet.

Le modèle le plus emblématique de cette évolution a été proposé par Vincent LENHARDT, avec ses trois stades de maturité, du « donneur d’ordre » autoritaire, au manager « ressource » pour son équipe, devenu, un « responsable porteur de sens ». Selon cette approche qui fait référence encore aujourd’hui, la maturité managériale correspondrait donc à un management centré davantage sur la compréhension des enjeux, donc sur le sens. Au-delà de son intelligence technique, le manager « mature » doit pouvoir donner du sens et surtout concilier les différents niveaux d’enjeux, financiers et humains, nécessaires à la performance.

La maturité managériale : une question aussi de culture

Si la maturité est celle de l’homme, elle est aussi le reflet de la culture de son organisation. Si une organisation est le reflet de la culture sociale de son époque, nous savons aussi que le mode de management est intimement lié à la culture de l’entreprise. Et quand une entreprise souhaite développer la maturité de son management, il ne peut donc s’agir uniquement d’acquérir de nouvelles techniques par la formation, mais bien d’aboutir à une transformation, que l’on peut qualifier « d’identitaire ». La culture étant façonnée par l’identité collective, il n’y a donc pas d’évolution de fond du management sans évolution culturelle.

Et nous savons tous qu’une culture naît, se développe, évolue par les comportements que portent ses dirigeants. Le premier alignement à trouver pour augmenter cette maturité est donc évidement le comportement des leaders, individuellement et au sein même de l’équipe de direction.

Mais que se passera t-il par exemple quand un grand groupe industriel qui veut prévenir les risques psychosociaux ne forme que ses managers (et non ses directeurs) ? Ils seront « sensibilisés »… Ce sont bien ces derniers évidemment qui par leur rôle véhiculent la pression sur les résultats, décident des changements, des mobilités, et de toutes les principales évolutions… Les directeurs sont, plus encore que les managers des « stresseurs », eux-mêmes « facteurs – et victimes – de risques psychosociaux ». Tout en restant réaliste sur leur marge de manœuvre dans un environnement concurrentiel, ne doivent-ils pas cependant être formés, au moins autant que leurs managers ? N’est-ce pas d’autant plus vrai qu’ils sont souvent aussi eux-mêmes sous forte pression et dans des « sois-fort » et des jeux de pouvoir qui ne leur offrent guère de soutiens… « Les directeurs partent souvent en burn-out sans aucun signe avant coureur tant ils masquent leur souffrance », me dira le médecin du travail de la même entreprise…

Comment faire évoluer une culture et la maturité managériale pour y intégrer la qualité de vie au travail, sans ses chefs ?

Mais que veut dire au juste « maturité managériale » ? Peut-être y trouverons-nous un indice pour poursuivre notre route ?

Chaque époque et chaque crise questionne le management et rajoute une nouvelle exigence. Le « manager technique » (« donneur d’ordre ») est devenu « un ressources délégant », un leader, un coach, puis, avec la montée de la souffrance au travail, un « psy »… Il doit aujourd’hui être aussi tout cela à la fois et aussi « agile » ! Face à l’hyper-complexité et à la vitesse, l’entreprise prône aujourd’hui « l’agilité  managériale ». L’Institut Esprit de Service du MEDEF en fait ainsi son dernier thème de réflexion. Pour un manager, « l’agilité », c’est une sorte de nouvelle « méta-compétence », comme le leadership en était une autre. L’agilité, recouvre « l’adaptation aux changements permanents », une forte capacité de « remise en cause » et aussi « d’innovation ». La maturité signifie dans ce cas, celle d’un « fruit mur », bien adapté aux enjeux de son entreprise, de ses marchés et donc qu’elle peut utiliser le plus efficacement possible.

Mais la « maturité » dans le langage courant, ne nous renvoie-t-elle pas aussi à une posture « responsable », ou « Adulte », au sens des trois niveaux du moi de l’Analyse Transactionnelle (Parent, Enfant, Adulte) ? L’adulte, n’est-ce pas celui qui a intégré intelligemment un système moral, qui « suit Dieu », comme le dit la bible, ou avec des « valeurs morales » – « un surmoi », comme disent les psychanalystes freudiens, et une éthique, autrement dit, un idéal vertueux ?

Pour moi la maturité managériale nécessaire à la transformation managériale, ce n’est pas qu’un manager adapté et adaptable, jouet de son temps, c’est aussi et avant tout un manager conscient, responsable, « durable », porté par les valeurs qui de puis des millénaires orientent toutes nos traditions spirituelles  …

 



[1] Exode chapitre 18.

18/05/14

Trouver son énergie au bon niveau

La dynamique des émotions et des besoins au service du leadership personnel

Extrait  de mon prochain livre, sur le développement personnel du manager (Inter-éditions)

Chapitre :  Les bénéfices de l’intelligence émotionnelle en management…

La dynamique des émotions et des besoins au service du leadership personnel

La complexité du cerveau humain est aussi le reflet de notre longue évolution. Nous conservons ainsi en mémoire la progression de nos fonctionnements, « instinctifs », « émotionnels », « intuitifs » et, plus récemment, du « mental » ou « raisonnés ». A chaque niveau de fonctionnement, comme l’a illustré la célèbre pyramide de MASLOW, nous pouvons positionner des besoins, du « primaire » (nos pulsions, instincts…) aux besoins dits « supérieurs » (sens, réalisation de soi, spiritualité…).

Une autre caractéristique plus étonnante de ces niveaux de besoin est leur interaction et leur complémentarité en matière d’énergie. Chez l’homme, le besoin le plus élaboré est le besoin spirituel. Une personne pourra, par exemple, survivre en milieu hostile ou privée de nourriture matérielle, à condition que les besoins supérieurs soient nourris et viennent compenser le déséquilibre énergétique. Il y a ainsi de très nombreux témoignages et observations, depuis des siècles, de personnes mystiques ayant vécu plusieurs années quasiment sans nourriture. Ceci a été observé dans toutes les spiritualités du monde, quelle que soit la religion. Leur équilibre énergétique interroge encore aujourd’hui la science traditionnelle, mais un peu moins la physique quantique contemporaine …

Nous connaissons aussi de nombreuses personnes qui ont su résister à la famine pendant les guerres, comme dans des camps de concentration. Les tentatives d’explication scientifiques font toujours ressortir l’importance dans la gestion de l’énergie vitale, de la « nourriture » ou de la « satisfaction » des besoins dit « psychologiques » (autrement dit « immatériels »). Toutes les études montrent que les victimes ont du leur vie sauves, à leur capacité à maintenir un sens à leur existence (une des besoins dit supérieurs de l’homme) et à se nourrir suffisamment en reconnaissance. Il est connu ainsi chez l’homme que la reconnaissance négative, qui peut aller jusqu’à la torture, « nourrit » la personne, alors que l’abandon, ou l’isolement conduisent rapidement, dans les mêmes conditions, à une mort certaine…

Une des expériences les plus célèbres est celle du médecin Victor FRANKEL. Il produira plusieurs ouvrages issus de son expérience de survie dans les camps de concentration. Ses travaux déboucheront sur une nouvelle école de psychologie, orientée sur le sens et son rôle fondamental dans la dynamique humaine. Pour FRANKEL, si nous pouvons vivre sans nourriture ou sans sexe… nous ne peut pas vivre sans « sens ». Le sens permet de résister aux frustrations des besoins dits vitaux. Ses découvertes conduiront au courant de la « logo thérapie », thérapie par le sens[1].

Autre témoignage devenu plus récemment célèbre, celui de la pianiste d’Alice Sommer Hert. Il est possible de facilement retrouver ses interviews sur le web, comme « conversation avec une survivante de l’holocauste »[2], ou lire son best-seller « 108 ans de sagesse ». Son enseignement est particulièrement apprenant sur notre sujet. Déportée, elle survécue grâce à une gestion étonnante de ses besoins. « Elle découvrit une méthode qui lui permis non seulement de survivre dans ces conditions, mais aussi de s’épanouir »…

Il est connu en effet que, chez l’homme, se sont ses besoins supérieurs qui lui permettent de dépasser ses manques et frustrations plus matérielles.

Musicienne, elle souligne dans son témoignage que c’est cette passion qui alimentera sa spiritualité, besoin ultime de l’homme qui arrive à se détacher de se son égo. Elle confiera lors d’une interview [3] : « mon camp de concentration, ca a été comme un cadeau »… « j’ai été très reconnaissante et heureuse. Mon fils avait cinq ans et demi, il me demandait sans cesse pourquoi nous n’avions rien à manger ? » … « Je crois que les hommes n’ont pas besoin de nourriture, quand ils possèdent quelque chose de spirituel »…

C’est aussi, son attitude toujours positive et reconnaissante qui la nourrira, lui permettra non seulement de survivre, mais de s’épanouir, là ou la plupart dépériront : « je regarde toujours du coté du bien », « je n’ai jamais haïe personne »…, ni même mes bourreaux, y compris dans les situations de souffrance et les frustrations les plus intenses.

Dans les facteurs majeurs qui lui ont permis de vivre heureuse, malgré ces conditions effroyables, elle cite ainsi deux facteurs majeurs, la vision positive et la reconnaissance : « être toujours optimiste … ne jamais se plaindre » : « quand on se plaint on ne change rien » (on s’enferme dans sa frustration)… et « être reconnaissante pour tout » et la gratitude. « Dans la situation de survie, ou j’étais avec mon fils, nous étions reconnaissant pour tout : de ne pas avoir été pendue, de voir le soleil, un sourire, la parole gentille de quelqu’un … tout, tout était un cadeau »…

L’homme peut donc dépasser les frustrations les plus terribles, se nourrir de ses besoins supérieurs, spirituels ou plus simplement  « psychologiques », que sont ainsi le sens et la reconnaissance. Nous savons par ailleurs, à l’inverse, que nous pouvons aussi perdre notre énergie, dans une vision négative ou morose du monde, et aussi ressasser nos frustrations…

Loin des camps de concentration, mais plus actuels, les sports engagés et parfois extrêmes ne sont-ils pas aussi une illustration de ce fonctionnement humain ? L’énergie que possèdent les grands alpinistes qui enchaînent aujourd’hui des sommets de plus de 8000 m, seuls dans des parois vertigineuses, dans la nuit, le froid, la faim, l’isolement… questionne aussi notre vision de l’homme et des limites de nos fonctionnements. C’est « surréaliste », entend-on dire …, mais est-ce bien « surhumain », ou bien simplement « l’humain » qui est en nous et que nous refusons de voir et le marginalisant dans « l’exception » ?

Vers l’écoute et la conscience psycho-corporelle

Si je ne suis qu’un bien modeste pratiquant de la montagne (donc rien d’exceptionnel !), je peux cependant m’observer, faire l’auto-analyse de mon fonctionnement psychologique, ce qui aussi peut-être éclairant. Ainsi, quand je sais que je dois accomplir un effort physique intense et qui va durer, un long raid par exemple,… je sais aussi qu’il  va falloir que je gère soigneusement mon énergie, avec le risque parfois de moins de nourriture, moins de sécurité, de confort matériel (froid, vent, vide, etc.). Et je sais que je devrai simultanément produire un haut niveau d’énergie, dans la frustration de certains de mes besoins, a priori essentiels. Mais cette hostilité du milieu, ces frustrations ne sont-elles pas aussi compensées par une autre « nourriture » ? La relation intime avec la nature, dans la plénitude des paysages de haute-montagne, comme le marin en pleine mer, n’a-t-elle aussi pas une dimension spirituelle particulièrement « nourrissante » ? Par ailleurs l’alpiniste sait où il va, même si c’est un « conquérant de l’inutile »[4] … Il vit aussi en cohérence avec ses valeurs,  des principes reconnus aussi par ses pairs, porteuses de relations fortes et authentiques… L’alpiniste sait garder toujours une vision positive de ses chances de réussite… et y compris dans les pires situations (c’est vital !). Il dispose aussi d’un cadre clair, les règles de comportements dans un milieu dangereux sont autant de protections contre les risques… Au sommet, c’est toujours la joie de la conquête, de la réussite personnelle et aussi collective… Et en montagne, personne ne manquerait de célébrer les victoires…

Bref, l’alpiniste est parfaitement nourri au plan de ses besoins psychologiques. Il peut aussi, non seulement résister, performer et s’épanouir dans un milieu hostile !

Ces grands témoins de sagesse comme FRANKEL ou encore, Alice HERZ-SOMMER, comme les enseignements de la pratique des sports extrêmes, également détachés de finalités matérialistes, ne sont-ils pas riches d’enseignements

  • d’une part l’homme peut non seulement survivre, mais vivre en énergie, voire d’une autre énergie que matérielle, et même s’épanouir, y compris dans un milieu hostile, là ou d’autres dépériraient très vite, que ce soit dans un camp de concentration, ou, par exemple, dans les conditions extrêmes de la haute-montagne
  • d’autre part, ne pouvons-nous pas, quelque soit l’environnement, être pleinement acteur de notre propre bien-être, de notre propre épanouissement, par notre simple niveau de conscience de nos besoins et aussi par notre volonté de les assouvir, « au bon niveau » ?

N’est-ce pas aussi cela le « leadership personnel » ?

Si heureusement nous ne vivons pas quotidiennement en entreprise dans des environnements aussi hostiles, les pressions, la complexité, les injonctions paradoxales, les changements parfois ininterrompus, le manque de ressources…, ne sont-ils pas devenus pour beaucoup de managers et d’équipes leur pain quotidien ?

Et devons nous pour autant nous en morfondre, nous plaindre sans cesse, au risque de dépérir … de stresser et de sombrer dans le mal-être … ?

Sans innocenter pour autant notre système, que nous aspirons tous à révolutionner, ne sommes-nous pas aussi chacun responsable de notre vision du monde et de ce qu’elle produit autour de nous ?

Prochain article… et la suite, dans mon livre en route, à paraître prochainement chez Inter-édition :

Comment sortir de la dialectique du manque et du besoin, pour un niveau supérieur de conscience ?



[1] Viktor Frankl, Georges Elia Sarfati et Vincent Lenhardt, Nos raisons de vivre à l’école du sens de la vie, Paris, Inter-Éditions,‎ 2009 ;  « Ce qui ne figure pas dans mes livres », Inter-Editions, 2014.

Viktor Frankl, Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, Montréal, Actualisation,‎ 1988, 164 p. ;

Man’s search for meaning, New York, Washington Square Press/Pocket Books,‎ 1985, 221 p.; « Un Psychiatre déporté témoigne », Éditions du Chalet, 1967

[2] https://www.youtube.com/watch?v=kIXe6XC42ro- Conversation avec une survivante de l’holocauste » ; voir aussi son livre : Le monde d’Alice , 108 ans de sagesse ; Edit. Michel Lafon ; Alice Herz-Sommer.

[4] Lionel Terray est un célèbre alpiniste français (1921 à Grenoble et mort le 19 septembre 1965 aux arêtes du Gerbier dans le massif du Vercors). Il mena de nombreuses expéditions dans le monde, réussissant notamment les premières ascensions du Fitz Roy en Patagonie, ainsi que du Makalu et du Jannu en Himalaya. Il est aussi l’auteur d’un des plus célèbres ouvrages de récits d’alpinisme : « Les Conquérants de l’inutile ».