8/12/13

La course vers le « global management », leaders ou victimes ?

Notre mutation vers « le global », progresse inéluctablement depuis plus d’un siècle, avec la fulgurante accélération des 15-20 dernières années, donnée par le numérique…

Et ce n’est pas de tout repos pour tous ! Par ailleurs, chacun y va à son rythme. Il y a, comme partout, ceux qui sont loin devant…, ceux qui suivent…, ceux qui résistent … ceux qui sont déjà largués…, ceux ramassés par la voiture balais…, et les blessés, par l’ambulance… Notre mutation, n’est donc ni «un long fleuve tranquille », ni « une promenade de santé »…

Loin devant, il y a les plus grands groupes internationaux. Leurs managers ont depuis longtemps abandonné leur langue natale au travail et leur culture locale. Dans ce « pays là », nous sommes déjà arrivés de plein pied dans la « civilisation globale ». Dans ce grand groupe industriel Français dont j’accompagne les managers depuis plus de 10 ans dans leur propre mutation, ils parlent anglais, la direction Française habite Hong Kong, les valeurs morales sont globales, les programmes de formation sont conçus en Chine et gérés en Pologne, les DRH France souvent d’une autre origine, les programmes stratégiques s’appellent « One » (un seul)  ou « Connect », ils se déclinent dans tous les domaines, tous reliés dans une seule et même culture Monde. Parfois, à partager la vie de ces managers, j’ai l’étrange impression de vivre un peu en avance…, dans « le meilleur des mondes ». Et ces grandes entreprises là ont aussi réussi sans sombrer à cumuler les multiples transformations : mondialisation de toutes les fonctions, changement de culture et d’organisation, uniformisation des systèmes d’information, rachats et absorption régulière de nouveaux entrants aux cultures diverses…, tout en dégageant chaque année suffisamment de résultats, pour poursuivre leurs conquêtes, sur des marchés très chahutés. Impressionnant !

A l’intérieur même de ces grosses organisations globales, les transformations, même « réussies », produisent inévitablement « de la  casse ». Il y a aussi ceux qui « leadent », foncent devant, jusqu’à ceux qui lâchent en route… autrement dit, qui ne peuvent plus suivre le rythme effréné des changements. La montée des RPS en témoigne. La route est parfois complexe pour ces managers écartelés entre leur identité locale et une entreprise à la culture globale. Une nouvelle forme de schizophrénie ? Je dirai plus simplement, une autre dyschronie !

Le DRH d’un des leaders mondial de l’électronique me livre son analyse, lors d’un entretien de diagnostic, pour lancer un programme de prévention des RPS. Voici un extrait de son interview.

« Le découpage du monde et les flux économiques nécessaires à notre survie amènent un « développement bicéphale » de nos managers, avec la production utopiste d’un « homo économicus » mondial, et la nécessité par ailleurs, d’un enracinement de nos identités dans un territoire … Les RH doivent contribuer à un processus d’équilibrage entre ces deux identités « schizophréniques », refaire le pont, se ré-ancrer dans les enjeux régionaux, favoriser aussi l’identité locale et sa valeur ajoutée dans l’entreprise. Dans ce contexte, les managers sont « paumés »(…) Le métier a évolué, leur responsabilité aussi. « Le manager local est pris entre ses chaussures de montagne et son rôle d’homme global » … Leurs réactions face à cela, sont souvent « le contrôle et la défense ». Comment pouvons nous les aider à mieux assumer leur identité locale, savoir arbitrer entre leurs responsabilités managériales, avec un système de valeurs retrouvé… ? »

Mais au bout du long peloton des grandes entreprises en mutation, plus perdus encore, il y a souvent les plus petits,  les PME, TPE, et leurs dirigeants.

Mais au faite, nos dirigeants, nos leaders souffrent-ils, stressent-ils eux aussi, de ces crises et de ces ruptures de civilisation ? C’est un sujet tabou par excellence, y compris dans nos études statistiques peu intéressées par le sujet. Il est aussi étonnant de constater que les plus grands auteurs qui planchent sur la question des RPS, comme par exemple, Christophe Déjours[1] ne s’intéressent qu’aux salariés, « eux qui subissent le stress ». Aucune n’étude n’existant sur le sujet et, témoin de ce malaise, c’est pour cela qu’Olivier Olivier TORRES, spécialiste du management des PME, a créé « l’Observatoire Amarok » de la santé des dirigeants, et plus spécialement, de PME et TPE.

Pour cet universitaire, « les spécialistes de la souffrance au travail considèrent que la souffrance au travail  résulte d’un état de domination. Le patron étant le « dominant », il ne peut pas souffrir »« De leur côté, les dirigeants de PME sont prisonniers de l’idéologie du leadership qui ne cesse de donner du dirigeant une image narcissique de lui-même. Le dirigeant est un « leader », un « winner », un « battant »… il ne peut donc pas souffrir ! ».

Et pourtant, les premières études de cet observatoire sont édifiantes : « La souffrance patronale est une réalité méconnue et pourtant réelle. Il suffit d’être attentif aux cas de « burn-out » qui peuvent parfois dégénérer jusqu’au suicide…

Et effectivement…, on dénombrait en France deux suicides de dirigeants de PME-TPE par jour en 2012 ![2]

Oui, au bout de la chaîne et sous le rouleau compresseur de la globalisation, il y a l’individu qui souvent subit le plus, mais aussi nos dirigeants, nos leaders et nos nouveaux « global managers » sont aussi parfois fragilisés.

D’où l’importance réaffirmée de trouver dans le développement personnel, un levier majeur de transformation managériale, à la fois comme protection et comme levier de performance, dite « durable »…

La suite dans mon prochain livre … à paraître en 2014 avec DUNOD et Inter-éditions

Pierre-Marie



[1] Psychiatre et spécialiste du travail, a mené de de nombreuses recherches sur la souffrance au travail ( il est notamment l’auteur de « Souffrance en France » – éditions du Seuil -1998

[2] Olivier TORRES, universitaire, spécialiste du management des PME et fondateur de l’Observatoire Amarok.

14/09/13

Un salarié heureux en vaut deux !

« Et s’il valait mieux avoir des salariés heureux…, surtout en période de crise »,

« Et s’il valait mieux avoir des salariés heureux…, surtout en période de crise », titrait « La Tribune » avant l’été, s’appuyant sur une étude du très sérieux Financial Times. J’avais été moi-même très surpris qu’un média si engagé dans la performance financière que l’EXPANSION s’intéresse au développement personnel dans les organisations, jusqu’à publier 10 pages de mes tumultueuses réflexions de l’été 2012 sur l’éthique dans les organisations et le management !

Pour la Tribune, cette année, « le bonheur est bon pour les affaires. (…) S’il n’est pas scientifiquement démontrable, le fait est que les salariés les plus heureux déploient une énergie plus importante. Ce qui peut passer pour un détail semble ne pas en être un dans la quête d’une productivité toujours plus poussée. Les plus heureux gagnent plus d’argent et sont plus efficaces. Ainsi, « les gens heureux gagnent plus d’argent et sont en meilleure santé (comprendre « passent moins de temps en arrêt maladie, hors du bureau ») et sont plus créatifs pour résoudre les situations problématiques », explique le Professeur Scollon, psychologue cité par le journal britannique. De cette façon, les chercheurs démontrent l’impact que peut avoir le bien-être des salariés sur la qualité du travail(). Ce qui a conduit certains économistes à se rendre compte de l’importance de la psychologie dans la résolution de problèmes économiques ».

Autre exemple remarquable des évolutions de l’intérêt du développement personnel en entreprise, nous assistons à l’expansion rapide des formations à la méditation dans les sociétés de l’ouest américain. Assiste-t-on à un nouvel essor du new âge ou au début d’un véritable basculement vers une nouvelle civilisation moins matérialiste, comme l’annonce de nombreux observateurs philosophes aussi bien que scientifiques depuis plusieurs années ?[1] La vraie nouveauté, en fait, est l’importance donnée à ces pratiques non plus uniquement dans la société civile, mais aussi dans les entreprises, avec, par exemple, d’importants programmes de connaissance de soi et de formations aux pratiques de méditation ou contemplatives. Ce qui est le plus interpellant, c’est que ce ne sont pas n’importe quelles entreprises, mais celles qui – pour le meilleur et pour le pire – ont changé notre manière de vivre, comme Google et Facebook, qui forment leurs salariés à la méditation et à la pleine conscience… Les grandes firmes de l’ère numérique s’intéressent ainsi de plus en plus aux pratiques contemplatives. Le journal de l’INRESS propose ainsi un article intéressant sur ces méthodes (que je duplique ci-dessous). Elles commencent aussi à se répandre en Europe, avec par exemple à Lyon cette année, une conférence qui a vu 70 managers de la CGPME tester avec ravissement les effets de la méditation…

Le monde des affaires, les entreprises et particulièrement les géants du web semblent donc de plus en plus s’intéresser au développement personnel et à la psychologie, comme facteur de qualité de vie au travail et de performance. Si nous observons le phénomène avec un œil positif (qui est souvent le mien !), peu importe le prétexte, si nous contribuons à faire grandir en conscience nos dirigeants, les managers et leurs équipes.

Mais les financiers ont-ils une âme (?) me rétorqueront les plus pessimistes de mes collègues  (!), y voyant une nouvelle tentative de manipulation.

Je me demande simplement, sans polémiquer, si cette nouvelle « spiritualité sans dieu », comme l’appelle le philosophe André Le Compte Sponville, vénérera-t-elle un jour autre chose en entreprise, que l’argent et le profit ? Les valeurs du développement durable, au-delà des normes et des nouveaux marchés, nous ouvriront-elles les voies « d’en haut », de la responsabilité et de la sagesse ?  C’est un peu en fait aujourd’hui comme si l’entreprise dans ce nouvel élan de « développement personnel » n’avait retenu du fronton du temple de Delphes, que le début de la phrase « connais-toi toi-même », oubliant avec Socrate la suite du célèbre précepte : « …. et tu connaîtras l’univers et les dieux ».

Mais permettez-moi d’être un peu plus optimiste, sur la nature humaine… S’il existera toujours de purs mercenaires sans foi ni loi dans nos entreprises et aussi des politiques parfois bien peu modélisants …, je côtoie suffisamment de managers et de dirigeants pour observer une véritable montée progressive en conscience.

C’est vrai qu’ils sont souvent pris dans leurs propres dilemmes et incohérences nos dirigeants, mais ne le sommes nous pas chacun au quotidien, nous aussi écartelés parfois entre ombre et lumière, entre nos peurs, nos soifs de posséder et nos aspirations plus éthiques ou « écologiques » ?

Et si, avant de lyncher Marie-Madeleine, nous acceptions une rapide introspection avant de lui jeter la première pierre ! Et si nous suivions à nouveau Gandhi dans ses sages inspirations : « sois  le changement que tu veux voir dans le monde » ?


[1] Dont  André Malraux. « Depuis cinquante ans la psychologie réintègre les démons dans l’homme. Tel est le bilan sérieux de la psychanalyse. Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connu l’humanité, va être d’y réintroduire les dieux. »

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Mindfullness et méditation au travail

(article  INRESS, sept 2013)
Un vent de spiritualité souffle sur la Silicon Valley. De plus en plus d’entreprises, comme Google ou Facebook, forment leurs collaborateurs à la méditation et à la pleine conscience. De quoi vraiment changer la donne ?
La scène se passe au siège de Google, dans la Silicon Valley. Assis en demi-lotus dans une salle de réunion, des salariés du géant californien se concentrent sur leur respiration. Inspiration, expiration… Petit à petit, les autres pensées s’amenuisent, l’esprit se calme. Prochaine étape : une méditation sur le succès et l’échec.

Le cours est très officiel : il fait partie du programme Chercher en soi, auquel ont déjà participé un millier d’employés. En attendant de pouvoir y assister, quatre-cents suivent d’autres formations internes comme L’auto-piratage neural ou Gérer son énergie, arpentent en méditant le labyrinthe construit à cet effet, mangent deux fois par mois en silence lors de « déjeuners conscients »… Après avoir mis à la disposition de ses collaborateurs des salles de gym, des massages et des repas bio gratuits, Google aurait-il décidé de se préoccuper de leur paix intérieure ?

La tendance n’a rien d’anecdotique : dans la Silicon Valley, les grandes firmes de l’ère numérique s’intéressent aux pratiques contemplatives. Ainsi, les cofondateurs de Twitter et Facebook organisent régulièrement en interne des séances de méditation, et s’orientent vers des méthodes de travail qui favorisent la pleine conscience. L’hiver dernier, la conférence Sagesse 2.0 a attiré à San Francisco plus de 1700 participants, parmi lesquels des dirigeants de LinkedIn, Cisco et Ford. Google a créé un Institut qui enseigne la méditation à qui veut. Des sites Internet tels que Dharma Overground ou Buddhist Geeks font fureur, des cours de méditation par Skype voient le jour, de même que diverses applications pour accroître, par exemple, son attention.

Ne faut-il y voir que l’énième lubie d’une région qui a déjà engendré les hippies et le New Age ? Un nouvel outil d’image de marque ? Ou la volonté d’améliorer le bien-être des salariés… donc leur créativité et leurs performances ? Là-dessus, aucun doute : la méditation est un outil précieux, accessible à tous, permettant de réduire le stress, réguler ses émotions, booster sa mémoire et sa concentration, renforcer l’efficacité de son raisonnement et de ses actions.

Mais pas question d’aller vers des horizons moins délimités. Dans ce milieu d’ingénieurs et de techniciens, il faut parler le langage de la rationalité. La légitimité de la méditation la puise dans les neurosciences, l’évolution biologique, les études scientifiques. Mais n’est-ce pas faire que la moitié du chemin ? Comme le soulignent certains, Steve Jobs a passé beaucoup de temps assis en lotus, ça ne l’a pas empêché de sous-payer certains collaborateurs, vilipender ses employés ou garer sa voiture sur les places réservées aux handicapés !

Pour autant, l’affaire fait son chemin. L’expérience de la méditation et la découverte des principes bouddhistes peuvent induire une prise de conscience. Surtout chez ces professionnels des réseaux sociaux, dont le métier est l’interconnexion ! C’est ainsi qu’un cadre de Facebook, en écoutant Jon Kabat-Zinn, a décidé de promouvoir la compassion, en améliorant la façon dont l’entreprise répondait aux attaques, disputes et bassesses qui sont le quotidien des réseaux sociaux, via des outils de modération plus personnels, plus empathiques, plus conversationnels. Chez Google, on dit aussi que la méditation est un moyen de développer l’intelligence émotionnelle des collaborateurs, leur sens de l’interconnexion et leur capacité à se mettre à la place de l’autre…

A leur profit ? Pour l’instant peut-être. Mais une chose est intéressante : ces nouveaux chantres de la méditation sont les inventeurs d’outils qui ont changé nos vies. Leur art de transformer une idée de niche en gigantesque mouvement de société est avéré. Paix intérieure chez Google aujourd’hui, paix dans le monde demain ?

A méditer !