La course vers le « global management », leaders ou victimes ?
Notre mutation vers « le global », progresse inéluctablement depuis plus d’un siècle, avec la fulgurante accélération des 15-20 dernières années, donnée par le numérique…
Et ce n’est pas de tout repos pour tous ! Par ailleurs, chacun y va à son rythme. Il y a, comme partout, ceux qui sont loin devant…, ceux qui suivent…, ceux qui résistent … ceux qui sont déjà largués…, ceux ramassés par la voiture balais…, et les blessés, par l’ambulance… Notre mutation, n’est donc ni «un long fleuve tranquille », ni « une promenade de santé »…
Loin devant, il y a les plus grands groupes internationaux. Leurs managers ont depuis longtemps abandonné leur langue natale au travail et leur culture locale. Dans ce « pays là », nous sommes déjà arrivés de plein pied dans la « civilisation globale ». Dans ce grand groupe industriel Français dont j’accompagne les managers depuis plus de 10 ans dans leur propre mutation, ils parlent anglais, la direction Française habite Hong Kong, les valeurs morales sont globales, les programmes de formation sont conçus en Chine et gérés en Pologne, les DRH France souvent d’une autre origine, les programmes stratégiques s’appellent « One » (un seul) ou « Connect », ils se déclinent dans tous les domaines, tous reliés dans une seule et même culture Monde. Parfois, à partager la vie de ces managers, j’ai l’étrange impression de vivre un peu en avance…, dans « le meilleur des mondes ». Et ces grandes entreprises là ont aussi réussi sans sombrer à cumuler les multiples transformations : mondialisation de toutes les fonctions, changement de culture et d’organisation, uniformisation des systèmes d’information, rachats et absorption régulière de nouveaux entrants aux cultures diverses…, tout en dégageant chaque année suffisamment de résultats, pour poursuivre leurs conquêtes, sur des marchés très chahutés. Impressionnant !
A l’intérieur même de ces grosses organisations globales, les transformations, même « réussies », produisent inévitablement « de la casse ». Il y a aussi ceux qui « leadent », foncent devant, jusqu’à ceux qui lâchent en route… autrement dit, qui ne peuvent plus suivre le rythme effréné des changements. La montée des RPS en témoigne. La route est parfois complexe pour ces managers écartelés entre leur identité locale et une entreprise à la culture globale. Une nouvelle forme de schizophrénie ? Je dirai plus simplement, une autre dyschronie !
Le DRH d’un des leaders mondial de l’électronique me livre son analyse, lors d’un entretien de diagnostic, pour lancer un programme de prévention des RPS. Voici un extrait de son interview.
« Le découpage du monde et les flux économiques nécessaires à notre survie amènent un « développement bicéphale » de nos managers, avec la production utopiste d’un « homo économicus » mondial, et la nécessité par ailleurs, d’un enracinement de nos identités dans un territoire … Les RH doivent contribuer à un processus d’équilibrage entre ces deux identités « schizophréniques », refaire le pont, se ré-ancrer dans les enjeux régionaux, favoriser aussi l’identité locale et sa valeur ajoutée dans l’entreprise. Dans ce contexte, les managers sont « paumés »(…) Le métier a évolué, leur responsabilité aussi. « Le manager local est pris entre ses chaussures de montagne et son rôle d’homme global » … Leurs réactions face à cela, sont souvent « le contrôle et la défense ». Comment pouvons nous les aider à mieux assumer leur identité locale, savoir arbitrer entre leurs responsabilités managériales, avec un système de valeurs retrouvé… ? »
Mais au bout du long peloton des grandes entreprises en mutation, plus perdus encore, il y a souvent les plus petits, les PME, TPE, et leurs dirigeants.
Mais au faite, nos dirigeants, nos leaders souffrent-ils, stressent-ils eux aussi, de ces crises et de ces ruptures de civilisation ? C’est un sujet tabou par excellence, y compris dans nos études statistiques peu intéressées par le sujet. Il est aussi étonnant de constater que les plus grands auteurs qui planchent sur la question des RPS, comme par exemple, Christophe Déjours[1] ne s’intéressent qu’aux salariés, « eux qui subissent le stress ». Aucune n’étude n’existant sur le sujet et, témoin de ce malaise, c’est pour cela qu’Olivier Olivier TORRES, spécialiste du management des PME, a créé « l’Observatoire Amarok » de la santé des dirigeants, et plus spécialement, de PME et TPE.
Pour cet universitaire, « les spécialistes de la souffrance au travail considèrent que la souffrance au travail résulte d’un état de domination. Le patron étant le « dominant », il ne peut pas souffrir » … « De leur côté, les dirigeants de PME sont prisonniers de l’idéologie du leadership qui ne cesse de donner du dirigeant une image narcissique de lui-même. Le dirigeant est un « leader », un « winner », un « battant »… il ne peut donc pas souffrir ! ».
Et pourtant, les premières études de cet observatoire sont édifiantes : « La souffrance patronale est une réalité méconnue et pourtant réelle. Il suffit d’être attentif aux cas de « burn-out » qui peuvent parfois dégénérer jusqu’au suicide…
Et effectivement…, on dénombrait en France deux suicides de dirigeants de PME-TPE par jour en 2012 ![2]
Oui, au bout de la chaîne et sous le rouleau compresseur de la globalisation, il y a l’individu qui souvent subit le plus, mais aussi nos dirigeants, nos leaders et nos nouveaux « global managers » sont aussi parfois fragilisés.
D’où l’importance réaffirmée de trouver dans le développement personnel, un levier majeur de transformation managériale, à la fois comme protection et comme levier de performance, dite « durable »…
La suite dans mon prochain livre … à paraître en 2014 avec DUNOD et Inter-éditions
Pierre-Marie