La dynamique des émotions et des besoins au service du leadership personnel
Extrait de mon prochain livre, sur le développement personnel du manager (Inter-éditions)
Chapitre : Les bénéfices de l’intelligence émotionnelle en management…
La dynamique des émotions et des besoins au service du leadership personnel
La complexité du cerveau humain est aussi le reflet de notre longue évolution. Nous conservons ainsi en mémoire la progression de nos fonctionnements, « instinctifs », « émotionnels », « intuitifs » et, plus récemment, du « mental » ou « raisonnés ». A chaque niveau de fonctionnement, comme l’a illustré la célèbre pyramide de MASLOW, nous pouvons positionner des besoins, du « primaire » (nos pulsions, instincts…) aux besoins dits « supérieurs » (sens, réalisation de soi, spiritualité…).
Une autre caractéristique plus étonnante de ces niveaux de besoin est leur interaction et leur complémentarité en matière d’énergie. Chez l’homme, le besoin le plus élaboré est le besoin spirituel. Une personne pourra, par exemple, survivre en milieu hostile ou privée de nourriture matérielle, à condition que les besoins supérieurs soient nourris et viennent compenser le déséquilibre énergétique. Il y a ainsi de très nombreux témoignages et observations, depuis des siècles, de personnes mystiques ayant vécu plusieurs années quasiment sans nourriture. Ceci a été observé dans toutes les spiritualités du monde, quelle que soit la religion. Leur équilibre énergétique interroge encore aujourd’hui la science traditionnelle, mais un peu moins la physique quantique contemporaine …
Nous connaissons aussi de nombreuses personnes qui ont su résister à la famine pendant les guerres, comme dans des camps de concentration. Les tentatives d’explication scientifiques font toujours ressortir l’importance dans la gestion de l’énergie vitale, de la « nourriture » ou de la « satisfaction » des besoins dit « psychologiques » (autrement dit « immatériels »). Toutes les études montrent que les victimes ont du leur vie sauves, à leur capacité à maintenir un sens à leur existence (une des besoins dit supérieurs de l’homme) et à se nourrir suffisamment en reconnaissance. Il est connu ainsi chez l’homme que la reconnaissance négative, qui peut aller jusqu’à la torture, « nourrit » la personne, alors que l’abandon, ou l’isolement conduisent rapidement, dans les mêmes conditions, à une mort certaine…
Une des expériences les plus célèbres est celle du médecin Victor FRANKEL. Il produira plusieurs ouvrages issus de son expérience de survie dans les camps de concentration. Ses travaux déboucheront sur une nouvelle école de psychologie, orientée sur le sens et son rôle fondamental dans la dynamique humaine. Pour FRANKEL, si nous pouvons vivre sans nourriture ou sans sexe… nous ne peut pas vivre sans « sens ». Le sens permet de résister aux frustrations des besoins dits vitaux. Ses découvertes conduiront au courant de la « logo thérapie », thérapie par le sens[1].
Autre témoignage devenu plus récemment célèbre, celui de la pianiste d’Alice Sommer Hert. Il est possible de facilement retrouver ses interviews sur le web, comme « conversation avec une survivante de l’holocauste »[2], ou lire son best-seller « 108 ans de sagesse ». Son enseignement est particulièrement apprenant sur notre sujet. Déportée, elle survécue grâce à une gestion étonnante de ses besoins. « Elle découvrit une méthode qui lui permis non seulement de survivre dans ces conditions, mais aussi de s’épanouir »…
Il est connu en effet que, chez l’homme, se sont ses besoins supérieurs qui lui permettent de dépasser ses manques et frustrations plus matérielles.
Musicienne, elle souligne dans son témoignage que c’est cette passion qui alimentera sa spiritualité, besoin ultime de l’homme qui arrive à se détacher de se son égo. Elle confiera lors d’une interview [3] : « mon camp de concentration, ca a été comme un cadeau »… « j’ai été très reconnaissante et heureuse. Mon fils avait cinq ans et demi, il me demandait sans cesse pourquoi nous n’avions rien à manger ? » … « Je crois que les hommes n’ont pas besoin de nourriture, quand ils possèdent quelque chose de spirituel »…
C’est aussi, son attitude toujours positive et reconnaissante qui la nourrira, lui permettra non seulement de survivre, mais de s’épanouir, là ou la plupart dépériront : « je regarde toujours du coté du bien », « je n’ai jamais haïe personne »…, ni même mes bourreaux, y compris dans les situations de souffrance et les frustrations les plus intenses.
Dans les facteurs majeurs qui lui ont permis de vivre heureuse, malgré ces conditions effroyables, elle cite ainsi deux facteurs majeurs, la vision positive et la reconnaissance : « être toujours optimiste … ne jamais se plaindre » : « quand on se plaint on ne change rien » (on s’enferme dans sa frustration)… et « être reconnaissante pour tout » et la gratitude. « Dans la situation de survie, ou j’étais avec mon fils, nous étions reconnaissant pour tout : de ne pas avoir été pendue, de voir le soleil, un sourire, la parole gentille de quelqu’un … tout, tout était un cadeau »…
L’homme peut donc dépasser les frustrations les plus terribles, se nourrir de ses besoins supérieurs, spirituels ou plus simplement « psychologiques », que sont ainsi le sens et la reconnaissance. Nous savons par ailleurs, à l’inverse, que nous pouvons aussi perdre notre énergie, dans une vision négative ou morose du monde, et aussi ressasser nos frustrations…
Loin des camps de concentration, mais plus actuels, les sports engagés et parfois extrêmes ne sont-ils pas aussi une illustration de ce fonctionnement humain ? L’énergie que possèdent les grands alpinistes qui enchaînent aujourd’hui des sommets de plus de 8000 m, seuls dans des parois vertigineuses, dans la nuit, le froid, la faim, l’isolement… questionne aussi notre vision de l’homme et des limites de nos fonctionnements. C’est « surréaliste », entend-on dire …, mais est-ce bien « surhumain », ou bien simplement « l’humain » qui est en nous et que nous refusons de voir et le marginalisant dans « l’exception » ?
Vers l’écoute et la conscience psycho-corporelle
Si je ne suis qu’un bien modeste pratiquant de la montagne (donc rien d’exceptionnel !), je peux cependant m’observer, faire l’auto-analyse de mon fonctionnement psychologique, ce qui aussi peut-être éclairant. Ainsi, quand je sais que je dois accomplir un effort physique intense et qui va durer, un long raid par exemple,… je sais aussi qu’il va falloir que je gère soigneusement mon énergie, avec le risque parfois de moins de nourriture, moins de sécurité, de confort matériel (froid, vent, vide, etc.). Et je sais que je devrai simultanément produire un haut niveau d’énergie, dans la frustration de certains de mes besoins, a priori essentiels. Mais cette hostilité du milieu, ces frustrations ne sont-elles pas aussi compensées par une autre « nourriture » ? La relation intime avec la nature, dans la plénitude des paysages de haute-montagne, comme le marin en pleine mer, n’a-t-elle aussi pas une dimension spirituelle particulièrement « nourrissante » ? Par ailleurs l’alpiniste sait où il va, même si c’est un « conquérant de l’inutile »[4] … Il vit aussi en cohérence avec ses valeurs, des principes reconnus aussi par ses pairs, porteuses de relations fortes et authentiques… L’alpiniste sait garder toujours une vision positive de ses chances de réussite… et y compris dans les pires situations (c’est vital !). Il dispose aussi d’un cadre clair, les règles de comportements dans un milieu dangereux sont autant de protections contre les risques… Au sommet, c’est toujours la joie de la conquête, de la réussite personnelle et aussi collective… Et en montagne, personne ne manquerait de célébrer les victoires…
Bref, l’alpiniste est parfaitement nourri au plan de ses besoins psychologiques. Il peut aussi, non seulement résister, performer et s’épanouir dans un milieu hostile !
Ces grands témoins de sagesse comme FRANKEL ou encore, Alice HERZ-SOMMER, comme les enseignements de la pratique des sports extrêmes, également détachés de finalités matérialistes, ne sont-ils pas riches d’enseignements
- d’une part l’homme peut non seulement survivre, mais vivre en énergie, voire d’une autre énergie que matérielle, et même s’épanouir, y compris dans un milieu hostile, là ou d’autres dépériraient très vite, que ce soit dans un camp de concentration, ou, par exemple, dans les conditions extrêmes de la haute-montagne
- d’autre part, ne pouvons-nous pas, quelque soit l’environnement, être pleinement acteur de notre propre bien-être, de notre propre épanouissement, par notre simple niveau de conscience de nos besoins et aussi par notre volonté de les assouvir, « au bon niveau » ?
N’est-ce pas aussi cela le « leadership personnel » ?
Si heureusement nous ne vivons pas quotidiennement en entreprise dans des environnements aussi hostiles, les pressions, la complexité, les injonctions paradoxales, les changements parfois ininterrompus, le manque de ressources…, ne sont-ils pas devenus pour beaucoup de managers et d’équipes leur pain quotidien ?
Et devons nous pour autant nous en morfondre, nous plaindre sans cesse, au risque de dépérir … de stresser et de sombrer dans le mal-être … ?
Sans innocenter pour autant notre système, que nous aspirons tous à révolutionner, ne sommes-nous pas aussi chacun responsable de notre vision du monde et de ce qu’elle produit autour de nous ?
Prochain article… et la suite, dans mon livre en route, à paraître prochainement chez Inter-édition :
Comment sortir de la dialectique du manque et du besoin, pour un niveau supérieur de conscience ?
[1] Viktor Frankl, Georges Elia Sarfati et Vincent Lenhardt, Nos raisons de vivre à l’école du sens de la vie, Paris, Inter-Éditions, 2009 ; « Ce qui ne figure pas dans mes livres », Inter-Editions, 2014.
Viktor Frankl, Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, Montréal, Actualisation, 1988, 164 p. ;
Man’s search for meaning, New York, Washington Square Press/Pocket Books, 1985, 221 p.; « Un Psychiatre déporté témoigne », Éditions du Chalet, 1967
[2] https://www.youtube.com/watch?v=kIXe6XC42ro- Conversation avec une survivante de l’holocauste » ; voir aussi son livre : Le monde d’Alice , 108 ans de sagesse ; Edit. Michel Lafon ; Alice Herz-Sommer.
[4] Lionel Terray est un célèbre alpiniste français (1921 à Grenoble et mort le 19 septembre 1965 aux arêtes du Gerbier dans le massif du Vercors). Il mena de nombreuses expéditions dans le monde, réussissant notamment les premières ascensions du Fitz Roy en Patagonie, ainsi que du Makalu et du Jannu en Himalaya. Il est aussi l’auteur d’un des plus célèbres ouvrages de récits d’alpinisme : « Les Conquérants de l’inutile ».