BIEN-ETRE AU TRAVAIL : PARADOXE, LEURRE OU NOUVEAU CONTRAT SOCIAL ?
Question 2 – Well being at work manipulation ou levier de performance durable ?
Cet article est le second billet sur le bien-être au travail que je vous propose de discuter sur mon blog, dans les semaines à venir: C’est quoi le bien-être ? Est-il possible de développer le bien-être au travail en situation de tension ? Quels intérêts pour l’entreprise, le management, les salariés ? N’est ce pas qu’une utopie ou une manipulation ? Le bien-être est-il réellement un facteur d’efficacité et de « performance durable » ? Le bien-être prévient t-il du stress et burnout ? Quels sont les leviers pour le développer? Quelle est la différence avec la Qualité de Vie au Travail ? Le manager peut-il agir et comment ? Et en tant que salarié, y a-t-il des risques à suivre ce mouvement ? L’intelligence émotionnelle est-elle un facteur de bien-être? Le bien-être est matériel, psychologique, n’est-il pas aussi « spirituel » ? Et au travail ? …
Dans le billet précédent (http://ecologie-manageriale.fr/le-bien-etre-au-travail-paradoxe-leurre-ou-nouveau-contrat-social/), j’explorais les origines et les définitions du bien-être. L’OMS définit la santé comme un état de bien-être physique, économique et psychologique. Nous savons tous que si la santé physique est relativement objective, le bien-être économique est plus complexe à appréhender. C’est le fameux « paradoxe de l’abondance »[1] qui nous montre les limites de l’analyse économique. Le bien-être matériel est à la fois une réalité mesurable et une perception subjective de nos besoins, de notre satisfaction et de nos éternelles frustrations. Nous sommes souvent frappés en voyage, quand nous quittons notre culture, de la joie de vivre et de la capacité de partage de populations pourtant beaucoup plus démunies que nous, en Afrique ou dans certains pays d’Asie, par exemple. Le bien-être est en effet aussi un état psychique, un niveau de conscience, voire une philosophie. Par ailleurs le bien-être possède une dimension historique, bien ancrée dans nos racines culturelles et religieuses. Dans la tradition chrétienne par exemple, le bien-être était un « non-sens » sur terre, lieu avant tout de souffrance. Il n’existait qu’au paradis (et pour certains !). Plus sérieusement, pour la plupart des religions, le bien-être au-delà du matériel est avant tout spirituel. Pour la médecine traditionnelle, le bien-être, du fait de sa composante psychologique ne fait pas non plus toujours « sens », ni avancer le commerce médical avec les laboratoires pharmaceutiques …
Enfin, au plan psychosocial, derrière la mode du « bien-être », il y a l’équilibre entre « l’être » et « l’avoir ». La quête actuelle de bien-être est pour moi à la fois le signe du mal être social, mais aussi de notre changement de paradigme. Nous basculons lentement d’une société matérialiste tirée par la croissance et la consommation, vers une société durable plus ouverte à « l’être » et au « bien-être ». C’est aussi un retour à la conscience et aux nouvelles formes de spiritualité laïques – comme le « plein conscience» – comme par hasard au centre des « techniques bien-être » adoptées par de plus en plus d’entreprises.
Vous avez dit « bien-être, être bien » ? Et au travail ?
Le well being at work devient un outil de marketing interne et de management de plus en plus répandu. Beaucoup de grandes entreprises proposent ainsi leur semaine « bien-être » ou « qualité de vie au travail », d’autres des cours de yoga, de tai-chi, voire de méditation, entre midi et deux. Certaines vont jusqu’à inscrire le « well being » au cœur de leur programme stratégique. Les petites entreprises n’ont pas besoin elles de campagnes de marketing. Le développement du bien-être des salariés dépend directement des valeurs humanistes du dirigeant, auxquelles se rattache naturellement l’idée de bien-être au travail. C’est plus simplement prendre soin de ses employés, procurer des conditions de travail agréables ou encore, faciliter la qualité des relations par tout type de manifestations conviviales.
Mais, quelque soit la taille de l’entreprise, est-il possible et bienvenu de promouvoir le bien-être dans le contexte économique que nous connaissons tous ? Peut-on parler sérieusement de bien-être au travail, face à la pression constante sur la productivité et l’emploi, le stress et le mal être que cela peut générer ? Peut-on demander aux managers de rester zen et de promouvoir le well being, y compris quand le bateau prends l’eau ? Et en tant que salarié, y a-t-il un risque à répondre à cette nouvelle injonction de bien-être ?
L’étymologie du mot travail trepalium renverrait à la torture et à la souffrance. Nous sommes donc loin du bien-être ! C’était dur de travailler et de gagner son pain sur terre… C’est en tout cas ce qu’ont entendu nos aïeuls. Nous oublions souvent le chemin parcouru depuis en matière de conditions de travail. Parler de bien-être au travail peut donc raisonner dans notre inconscient comme un « non sens ». Le « fun », le plaisir, voire la « qualité de vie au travail » sont des valeurs qui ne parlent essentiellement qu’aux nouvelles générations. Mais quelque soit notre âge, si nous sommes mal menés par le travail, ou sans travail, nous savons qu’il sera plus difficile évidemment d’y trouver du bien-être. Partout où la pression s’accroît et/ou l’emploi est menacé, il peut paraitre mal venu d’afficher une telle volonté.
Ainsi pour une grande entreprise multinationale que j’accompagne, le bien-être fait partie de ses 8 grands principes stratégiques. « Le bien-être crée la Performance et la Performance est source de bien-être ». Mais, si on examine le résultat de leur dernier baromètre social, 37% des salariés pensent que l’entreprise se préoccupe activement de leur bien-être en France, contre 59 % en moyenne dans le reste du monde. Le bien-être apparait pour la plupart des salariés du groupe comme une réelle préoccupation de sa direction, sauf en France, où la réorganisation des sites de production crée une tension naturellement incompatible avec l’idée de bien-être. La même question peut se poser dans une PME, voire une TPE, toutes soumises à de multiples pressions. Dans la hiérarchie de nos besoins, le bien-être nécessite en effet que notre sécurité et que notre « territoire » au travail soient préservés, avant d’espérer aller vers un état supérieur de conscience et de sérénité, synonymes de bien-être.
Mais quelque soit le contexte économique ou de l’entreprise, plus ou moins sécurisant, le bien-être est aussi pour moi une philosophie et un état d’esprit.
Chaque fois que je pars en vacances, notamment en Asie, voire en Europe, je suis sidéré au retour de retrouver la mentalité française, mixe parfois terrifiant d’individualisme, de critique et de sinistrose. Dans ses tournées européennes, l’écrivain et thérapeute Thierry Jansen racontait que la France était le seul pays en Europe où on lui disait « bon courage » en partant ! Oui nous sommes souvent pessimistes. C’est pour moi le signe que notre cartésianisme allié au matérialisme ne laissent que trop peu de place à notre bien-être et plus simplement à notre « être », à nos ressentis, à nos émotions… Mais, soyons optimistes et positifs (!), cet équilibre et cet état d’esprit « bien-être » se cultivent. C’est un des grands bénéfices de l’intelligence émotionnelle que de faciliter la gestion et le dépassement de ses frustrations, pour développer son bien-être.
Nous savons aussi que du bien-être personnel découle le bien-être relationnel. Si je suis bien avec moi, la communication sera naturellement plus positive et les relations plus constructives. Le bien-être renforce la coopération. En retour, le bien-être psychologique dépend fortement de la qualité des relations et de ce qu’elles produisent chez soi, au plan émotionnel ou en matière de reconnaissance.
Le bien-être au travail est à l’évidence le facteur numéro un de motivation, donc de performance de toute personne et collectif au travail. Comment avons-nous pu l’oublier ?
Mais n’est-ce pas un brin naïf ou utopique que d’imaginer qu’une entreprise, comme par exemple google, très en avance sur la question, développe le bien-être au travail, pour une autre raison qu’augmenter sa productivité et ses résultats ? La plupart des organisations syndicales en France reprochent à la philosophie well being at work, d’être un simple leurre pour se donner bonne conscience, sans pour autant s’attaquer à l’essentiel, les conditions de travail et de salaire. N’est-ce pas finalement se dire, qu’avec une dose de bien-être, le nouvel « opiacé patronal », un salarié ou un manager pourront rester zen en toute circonstance et donc accepter n’importe quoi ?
Peut-être serait-il intéressant d’apporter une dose de réalisme et de pragmatisme. Premièrement faire du profit à moindre coûts demeurera sans doute encore longtemps l’axe principal de toute bonne gestion d’entreprise, dans un système capitaliste. Rien de neuf, tout est encore et toujours question d’équilibre entre l’économique et « l’écologie humaine ». Donc si une entreprise développe une démarche de well being et que ses résultats s’en ressentent positivement, je ne peux dire que tant mieux ! C’est le jeu, dans le monde d’aujourd’hui. Ca ne veut pas dire pour autant ni que j’y adhère, ni qu’il n’y a pas d’autres alternatives, à plus long terme !
Par ailleurs, développer son bien-être personnel nécessite un travail sur soi, par exemple la gestion de ses émotions, dont on connait l’impact sur le bien-être corporel et la santé … Ce travail sur soi ne nous « endort pas », même s’il est proposé par son entreprise… Au contraire, si c’est un levier antistress, c’est aussi un facteur important d’éveil et de montée en conscience. C’est ce bien-être là qui est au centre de la maitrise de soi et du leadership personnel. Au plan social, cet « état d’esprit bien-être » n’exclue en aucune façon la protection de soi, la défense de son intégrité, voire au plan collectif la lutte sociale, si l’organisation est inadaptée, voire « mal traitante ». Etre bien avec soi veut dire conserver ses équilibres émotionnels et du sens pour aussi, si cela s’avère nécessaire, inciter sa propre entreprise à mieux préserver le facteur humain. C’est sur ce chemin que j’accompagne depuis des années des managers pour développer leur leadership personnel.
En conclusion, l’état d’esprit bien-être est pour moi aujourd’hui vital à impulser dans les organisations, particulièrement partout où la peur et la morosité s’installent. C’est un moyen pour chacun de préserver ses équilibres, de s’affirmer plus sereinement et aussi de mieux vivre les nombreux changements auxquels nous sommes tous confrontés. C’est une condition sine qua non de ce que l’on peut espérer d’une « performance durable ».
Mais… Directions, managers, collaborateurs… que faire pour favoriser le bien-être au travail ?
C’est la question suivante ! A bientôt, pour poursuivre cette réflexion ensemble.
[1] D’après les économistes, une hausse du PIB ne se traduit pas nécessairement par une hausse du niveau de bien-être ressenti par les individus. Nous savons que c’est vrai aussi (mais à ne pas répéter à votre RH) pour les hausses de salaire !